M. RENÉ VIVIANI
On ne parle pas de M. René Viviani. Son état de santé laisse à désirer. C'est pourtant une étoile de première grandeur dAns le ciel de la Troisième République, qu'il a failli présider. C'est en tout cas un rêve que la fatalité a détruit mais qu'il a longtemps caressé. Il y a cinquante ans, lorsque les commerçants du quartier Saint-Victor allèrent le chercher au café du Faisan Doré, où il faisait sa partie de dominos, René Vivrani n'était qu'un petit avocat famélique. On a dit que M. Viviani était un idéaliste mal embouché. Il est certain que l'orateur harmonieux est souvent dans la conversation d'une grossièreté qui déconcerte. En 1914, dînant à coté du baron Freederik, maréchal de la Cour de Russie, il fit à ses déclarations sucrées des réponses assez vives, ce qui faisait dire au maréchal, quand on prétendait que les hommes d'État de la République étaient plats: "Pardon je connais M. Viviani, il est très énergique." Déjeunant un jour à Washington à gauche d'une princesse qui n'avait de soins que pour M. Aristide Briand, son voisin de droite, il jeta brusquement sa serviette sur la table en déclarant qu'il n'avait pas l'habitude de déjeuner à l'office. M. Vivani avait pourtant le coeur tendre, et la guerre lui a arraché des accents de sincérité émouvants. Le grand discours qu'il prononça sur les responsabilités de la guerre, dégageant M. Poincaré d'une absurde accusation, fit grande impression sur l'assemblée. On afficha son discours. On affichait d'ailleurs tous les discours de l'éloquent tribun; il a toujours eu le monopole de l'affichage. Au Sénat, il voulut un jour éteindre les étoiles. Cette boutade lui a été souvent reprochée; il la fit vite oublier d'ailleurs pendant la guerre et nul ne fut plus que lui "Union sacrée". Ténor du Parlement, sa carrière aurait été banale s'il n'avait été mêlé aux tragiques évènements de 1914. Ce socialiste s'était de plus en plus assagi depuis son élection dans la Creuse. En 1914, il comprit la situation, il comprit l'inévitable et fit de louables efforts pour conjurer la tragédie. Aujourd'hui, dans une rettaite dorée, M. René Viviania l'air de se désintéresser des mouvements politiques. Il aurait pu être Président du Conseil; il préféra trouver à la Société des Nations un refuge à sa lassitude. M. Viviani est un désabusé, comme tant d'autres qui ont éprouvé toutes les joies et toutes les déceptions du pouvoir. Il ne croit plus à grand'chose. Il a foi pourtant en son talent. Il finira peut-être sous les ombrages du Luxembourg qu'il présidera avec une grande maîtrise, et il y rallumera les étoiles qu'il avait éteintes un peu cavalièrement.