M. ARISTIDE BRIAND
Dans une fraction notoire de l'opinion française, on considère généralement Aristide Briand comme un type qui roule des cigarettes en pêchant à la ligne. Portrait un peu sommaire, avouez-le, pour un homme qui a été huit fois premier ministre de France. Le fait est que M. Briand a eu la vie la plus extraordinaire qui se puisse concevoir. Il a gardé de la période agitée de son existence la joie d'en être sorti avec un je ne sais quoi de nonchalant et de bohème qui persiste chez l'homme d'État le plus recherché du monde. Jeune avocat, il déploya toutes les ressources de son verbe dans les milieux socialistes et on souligna fort dans les congrès ses dons de persuasion habilement mariés à un air d'homme raisonnable. A la Lanterne, avec Millerand et Viviani, il apprit l'art des transitions et les froides violences de l'avocat de Gustave Hervé laissaient présager aux observateurs une prochaine évolution. Elle se produisit. Élu député socialiste de la Loire, le parlementaire ne se laissa pas embrigader et reconnut vite d'où venait le vent. L'heure était favorable aux révolutionnaires assagis. Le voici rue de Grenelle. Ministre, il eut l'art difficile d'appliquer la Loi de séparation sans brutalité et sans haine. Président du Conseil, il apparut un moment comme le Sauveur de la Société par la façon dont il résolut la grève des Chemins de Fer. Les meilleurs gardes-chasses ont été braconniers. Mais voici la guerre, qui va susciter son patriotisme autant que son habileté politique. Au Quai d'Orsay, il fit figure de Talleyrand, fixant et renforçant nos alliances, donnant un appui sans réserves aux chefs militaires de Verdun. 1917 ! Il résigne le pouvoir, avec une douleur évidente. C'était au lendemain des propositions de Lancken. Son rêve de paix se volatilisait. Après Clemenceau, Millerand " regnante ", il revient au pouvoir. Tache difficile : Briand flotta un tantinet entre la politique de la "main au collet" et celle des ménagements de Wirth et Rathenau. La fameuse partit de golf de Cannes, l'intervention de l'Élysée, la nervosité du Parlement l'obligèrent à résigner de nouveau le pouvoir. Mais cette fois, il glissa bien "à gauche". Il s'y est maintenu. Le discours de Carcassonne fut un peu, beaucoup le programme du Cartel dont il est devenu l'ami et le conseiller quasi indispensable. Que réserve l'avenir à M. Aristide Briand ? Point n'est besoin qu'une mystérieuse gitane lise dans sa main comme dans celle de "Gastounet" pour lui prédire ses hautes destinés. Il suffit d'avoir été bercé par les accents caressants de sa voie magique; il suffit de l'avoir vu manier les Parlements avec cette maîtrise unique, pour affirmer que son étoile, momentanément voilée, deviendra plus scintillante que jamais. Un jour, par le fait du hasard ou des évènements fatalement, logiquement, il remplacera les camarades qu'il seconde aujourd'hui en toute loyauté; et, dans un moment de lassitude qu'il faut toujours prévoir avec lui, après nous avoir charmés et ravis, il redescendra à nouveau du pouvoir, afin de se faire regretter. Coquetterie ! me direz-vous. Peut-être. Que voulez-vous ! C'est Briand... C'est la vie !