M. RAYMOND POINCARÉ

	M. Raymond Poincaré fut ministre pour la première fois en 1893: i1 était grand maître de
l'Université dans le Cabinet de M. Charles Dupuy.
	Je crois que M. Barthou en faisait aussi partie on les appelait les deux gosses.
	Ils ont grandi depuis. M Barthou parce que quasi-Espagnol; M. Poincaré quoique originaire
de l'Est.
	En 1894, il était à la tête des Finances.
	Enfin en 1912, il était appelé à la Présidence du Conseil, juste le temps de prendre
contact avec le Parlement et d'être candidat à l'Élysée, qu'il disputa avec avantage à
M. Jules Pams.
	Rentré dans le rang après son septennat, sa retraite fut courte: il prit presque aussitôt
la présidence du Conseil. M. Herriot le remplaça.
	Bien qu'éloigné du pouvoir, il se livre quasi-dominicalement à des manifestations
oratoires: il paraît que ses compatriotes ne peuvent s'en passer.
	M. Poincaré offre, avec M. Jules Jemaître -de très littéraire mémoire- une ressemblance
étonnante: même stature, mêmes traits, même inclinaison de la tête, même voix, moins dorée
peut-être; même écriture nette et menue.
	Éducation sociale très différente. Le sénateur de la Meuse est un républicain -un esprit
constitutionnel, un légiste.
	Il a compris ses devoirs de Président de la République selon l'observation la plus stricte
des lois fondamentales.
	Avec ça une prodigieuse faculté de travail et le don de classer les idées sans jamais
perdre de vue les situations les plus compliquées.
	Me Du Buit disait, il est vrai, de lui: "Il parle bien, mais ne choisit pas ses arguments."
	On relève dans ses discours une certaine sécheresse: elle vient de son effort constant
pour rester maître de sa pensée.
	Cette tension le rend peu communicatif et la clarté, si éblouissante soit-elle ne
réchauffe évidemment pas.
	M. Poincaré a toujours fait montre d'un grand courage intellectuel.
	Il lui manque l'audace, l'envolée: les scrupules l'étouffent.
	On lui a reproché son insensibilité: Non!
	Le juriste n'a pas tué l'homme: la loi et la constitution n'ont pas séché son coeur.
	Homme d'État remarquable, patriote, il a mis les négociateurs de la paix en garde
contre la mauvaise Paix qu'ils ont acceptée.
	Mais une fois signée, il s'est fait un devoir de plaider obstinément l'exécution
intégrale du traité, comme il eût plaidé un contrat de société ou de mariage.
	Il convient de relever cela à l'actif de M. Raymond Poincaré et d'y ajouter sa fameuse
lettre au roi d'Angleterre en 1914 et son oubli des attaques de Clémenceau en 1917.
	En faut-il plus pour expliquer que cet homme ait été longtemps aux yeux de l'opinion
le type du républicain national?