Procès Vaubulon

Procès-Verbal contre le gouverneur VAUBOULON

2.462
							Procès-verbal
							contre Monsr 
							de VAUBOULON

2.463 L'an mil six cent quatre vingt dix, le vingt-six novembre, je, Frère Hyacinthe de Quimper, capucin, soussigné, fis mettre dans le cachot Henri HABERT de VAUBOULON, Gouverneur pour le Roi dans cette Ile Bourbon, mon acte pour les raisons suivantes : 1- Afin de conserver ladite Ile à Sa Majesté Très Chrétienne, que Dieu conserve en tout et partout, contre les desseins qu'avait ledit Sieur Gouverneur de se perpétuer en ce gouvernement contre les ordres mêmes de Sa Majesté, par des voies violentes ainsi que nous en avons des témoins. 2- Pour les tyrannies et violences qu'il avait commis et commet tous les jours surles habitants de ctte Ile. 3- pour nous mettre à couvert des menaces qu'il avait et faisait journellement, tant de paroles que par écrit, de punitions corporelles, de faire pourrir dans un cachot et de pendre sans exceptions de personnes ni d'état. 4- Pour avoir souvent dit que tout ce qui était dans l'Ile lui appartenait, même les hardes des p.p. Capucins, que personne des habitants n'avaient rien en propre, que tout était à lui, que ce n'était pas à des canailles de la sorte d'avoir de l'argent, qu'il prétendait non seulement de fouiller leurs coffres tant et quantes fois qu'il lui plairait, mais encore que si quelqu'un de ses gens le leur demandait en son nom quoique à son insu, qu'ils le laissassent faire, ce qui fut cause que plusieurs mirent de leurs hardes chez nous en garde, et qu'ils ont retirées après la capture dudit Sieur Gouverneur. 5- Pour avoir dès son arrivée en cette Ile fait appeler un habitant de St-Denis que se nomme Pierre MARTIN, auquel il dit avoir appris que sa femme Nicole COLLON, parisienne, avait été cause, quoique innocemment, de la mort d'une petite négresse, et qu'il à la lui faire venir pour en répondre. Ladite Nicole COLLON était donc en présence dudit Sieur Gouverneur. Il lui dit qu'il avait appris ledit accident, à quoi elle répondit que l'accident était vrai, mais que Monsieur BOUREAU, Commissaire Général, pasant par ici, avait jugé et terminé cette affaire et donné sentence là-dessus, sur quoi, ledit Sieur Gouverneur demanda ladite sentence, la prit et l'a tellement gardée qu'on ne sait plus ce qu'il en a fait, et répondit à ladite Nicole COLLON
2.464 que Monsieur BOUREAU n'avait point pouvoir en cet état, qu'elle eût ainsi à penser à quoi se résoudre, que lui était non seulement Gouverneur, mais encore juge en dernier ressort et en toutes sortes de matières, qu'il la pouvait condamner ou absoudre comme il lui plairait; à ce discours, ladite femme avec son mari, se voyant menacés et ne sachant que faire, furent abouchés par Monsir de CHAUVIGNY et Monsr DUBOYS, capitaine du Petit St-Jean qui était encore en cette rade, et qui, 20 jours après, échoua à St-Paul, que tous deux étaient d'intelligence avec ledit Sr Gouverneur, leur dirent qu'il fallait faire un présent au Gouverneur, ce qu'ils acceptèrent après s'en être beaucoup défendus, de la crainte qu'ils avaient de quelque châtiment ignominieux. Voici une copie de la lettre que Monsr de CHAUVIGNY écrivit audit Sieur Pierre MARTIN pour venir promptement apporter de l'argent, savoir cinquante livre pour la partie, cent dix-huit livres pour le Sieur Gouverneur: «Je vous envoie cet exprès, Maître Pierre, pour vous donner avis que votre affaire est entièrement finie et terminée, Monsr le Gouverneur l'a expédiée dans toutes les formes, c'est pourquoi cependant que le fer est chaud, venez-vous-en et apportez de quoi satisfaire votre partie et ce qui faut pour retirer vos lettres. Je vous attends et suis tout à vous De CHAUVIGNY» voyez les termes de sa lettre de grâce qui sont faux. Ladite COLLON ayant recours à notre autorité et clémence nous avait très humblement suppliés de lui accorder nos lettres de grâce et d'abolition sur ce nécessaire, à ces causes bien loin que ladite COLON ni son mari ayant eu recours à son autorité ni à sa clémence, ni de l'avoir humblement supplié de leur accorder des lettres de grâce et d'abolition, c'est que ledit Pierre MARTIN et sa femme s'en sont toujours défendus représentant qudit Sieur Gouverneur qu'ils tenaient à la sentence dudit Sieur BOUREAU, Commissaire Général, mais il leur fallut céder à ses menaces, et quelques jours après, ledit Sieur Gouverneur, demandant encore quelque argent audit Me Pierre, le pauvre homme marqua quelque chagrin en son visage, dont le Gouverneur s'apercevant, lui dit tout en colère: «ne viens- tu pas ici?» et lui portant la main au visage, lui dit:
2.465 «Je n'aime pas ces colériques, tu ne me connais pas encore, quand. « je frappe, je frappe bien fort, monsieur, répondit maître Pierre, je ne suis pas en colère, mais vous me mettez dans l'impuissance de satisfaire à vos demandes continuelles», à quoi ledit Sieur Gouverneur répondit: «tu n'es pas encore à bout, je t'en ferai bien d'autres». 6- Pour avoir fait payer violemment aux habitants de cette Ile leurs habitations, quoique ils les eussent défrichées il y avait plus de 20 ans, qui plus qui moins, à la sueur de leurs fronts, avec la permission des précédents Gouverneurs dont ils avaient des papiers, que ledit Sieur gouverneur a rebutés, disant que les autres Gouverneurs avaient bien pu permettre de défricher des terres, mais qu'ils n'avaient jamais eu le pouvoir comme moi de les rendre héréditaires à vos héritiers ni vendables à qui il vous plairait, c'est pourquoi il emprisonnait et chassait de leurs habitations ceux qui refusaient de lui payer ce qu'il demandait, menaçait et emprisonnait pareillement ceux qui ne lui rendaient pas l'argent qu'ils avaient touché de la vente de leurs habitations, quoique vendues plusieurs années devant qu'il fût nommé au gouvernement (ou prenait leurs négresses quand ils n'avaient pas d'argent), disant que cet argent lui appartenait, n'ayant jamais eu, disait-il, de véritable Gouverneur en cette Ile de Bourbon que lui, et que toutes les terres lui appartenaient; vous verrez dans la suite quelques preuves de ce que j'ai avancé ci-dessus. 7- Pour avoir violemment et tyraniquement traité François RICQUEBOURG, qui étant le 16 janvier de l'an 1690 venu à St-Denis pour acheter des marchandises au magasin, Monsr de VAUBOULON, Gouverneur, l'ayant su, et craignant qu'il ne trouverait point d'argent à piller s'il laissait les habitants les puiser le magasin, les voulut prévenir, c'est pourquoi il fit appeler ledit François RICQUEBOURG, lui fit connaître qu'il serait à propos de prendre un nouveau contrat de son habitation pour le rendre héréditaire et vendable, quoique il en eût déjà un de Monsr de FLEURIMONT, précédent Gouverneur, comme d'un achat fait d'un nommé Jean BELLON, son beau-père, il consentit néanmoins à prendre un contrat, lequel était fait par Monsr de CHAUVIGNY, il lui demanda trente pistoles,
2.466 ce que ledit RICQUEBOURG ne pouvant donner, il prit congé et s'en alla; ledit Sieur Gouverneur ayant appris qu'il refusait de payer cette somme, le fit appeler et lui dit: «Je crois que tu te moques de Monsr de CHAUVIGNY», à quoi ledit RICQUEBOURG répondit qu'il était dans l'impuissance de satisfaire à la demande de Monsr de CHAUVIGNY, alors ledit Sieur Gouverneur le traita de coquin et d'autres paroles qu'un homme d'honneur ne voudrait avoir prononcées, menaçant de le chasser de son habitation pour y mettre des nègres, et que la moitié de ce qu'il avait était au Roi, lui fit rendre les lettres qu'il lui avait données pour quelques habitants de St-Paul, lui disant qu'il ne se voulait plus servir de lui, ledit RICQUEBOURG tout affligé d'un tel traitement et de telles menaces, partit pour St-Paul où trois jours après son arrivée, vinrent chez lui le Sr BIDON et Jacques FONTAINE, le menuisier capitaine du Quartier St-Paul, tenant un mousqueton en mains, qui le somma de la part dudit Sieur Gouverneur de lui donner cinquante écus tout présentement, faute de quoi il avait ordre dudit Sr gouverneur de se saisir pour le Roi de toutes ses hardes et meubles, de le chasser de son habitation et d'y mettre quatre nègres là présents aussi, armés de haches et pioches pour (à ce qu'ils ont du depuis déclaré) rompre les coffres dudit RICQUEBOURG, qui, épouvanté de ce procédé aussi inique que tyrannique, demanda audit Sr BIDON s'il lui serait permis de prendre ses hardes, lui fut répondu que non, lui demanda pareillement s'il lui serait permis de mettre ses hardes en compte et d'en faire un état, lui fut encore répondu que non par ledit BIDON, disant qu'il n'avait ordre seulement que de laisser prendre à sa femme ses hardes à elle et de ses enfants, et que tout le reste était au Roi. Ledit François RICQUEBOURG, après avoir ouï cette signification verbale dudit BIDON de la part du Roi et du Sieur Gouverneur, obéit promptement, et ayant demandé où il se retirerait, ledit Sr BIDON lui répondit que s'il s'approchait des habitations qu'il y avait ordre de tirer sur lui comme sur un chien; ledit RICQUEBOURG se voyant ainsi maltraité et menacé consentit à leur persuasion à faire et signer
2.467 une obligation (comme il fit) au Gouverneur, qu'il lui paye(rait) cinquante écus en marchandises comme en blé, riz et volailles ? faute d'argent; quelques jours après ledit BIDON avertit ledit RICQUEBOURG de la part du Gouverneur de se rendre au plus tôt à St- Denis, et qu'il prît garde de lui donner la peine de l'envoyer chercher, il y fut donc et à son arrivée sans autre discours ni raison, ledit Sr Gouverneur commanda de le mettre au cachot. Le pauvre affligé se jetant à ses pieds lui demanda pardon si par ignorance il pouvait avoir été assez malheureux de lui déplaire en quelque chose; étant donc au cachot, Mr de CHAUVIGNY, (qui faisait le bon soldat), le fut voir et lui dit que Monsr le Gouverneur était beaucoup fâché contre lui de ce qu'il ne lui voulait payer lesdits cinquante écus en argent comptant et monnayé, que c'était à ce sujet qu'on le tenait au cachot; le lendemain, ledit Sr Gouverneur le fit venir en sa présence et l'interrogea juridiquement, les pistolets sur sa table, et comme ledit RICQUEBOURG répondait justement et clairement à ses interrogations, ledit Sr Gouverneur lui fit se taire, lui disant malicieusement qu'il ne fallait répondre que oui ou non, le menaçant en outre, qu'il n'était pas où il en croyait, qu'il lui ferait couper le poing et autres menaces pour le troubler en son interrogatoire, qui est la manière d'agir que ledit Sr Gouverneur a toujours tenue en ses interrogatoires, comme l'on verra dans la suite, et quoi- que les réponses que donna ledit RICQUEBOURG en cet interrogatoire violent fussent si justes qu'il n'y avait pas la moindre matière d'aucun châtiment, néanmoins ledit Sr Gouverneur, poussé de son avarice comme de sa malice et du dessein qu'il a toujours eu de faire pendre et châtier quelques habitants comme il l'a souvent publié dans ses menaces et dans ses discours, à dessein d'épouvanter les autres afin de plumer la poule sans qu'elle ose crier, ou, pour parler français, afin de les piller et mener comme il lui plairait sans qu'ils s'en osent plaindre, condamna ledit RICQUEBOURG à des châtiments ignominieux, lui seul juge sans procureur du Roi ni adjoint que ledit Sieur de CHAUVIGNY son secrétaire, quoiqu'il ait faussement
2.468 mis dans sa sentence (les conclusions du Procureur du Roi présent sur celles-ci) ainsi qu'on le verra en sadite sentence pleine de faussetés, qu'on trouvera parmi les papiers dudit Sr Gouverneur dans l'interrogatoire dudit RICQUEBOURG, laquelle sentence n'a pas été signée ni exécutée parce que ledit RICQUEBOURG, se voyant si malmené et menacé, conseillé par ledit bon soldat Sieur de CHAUVIGNY, consentit à lui signer une obligation de cinquante écus en argent monnayé que ledit bon soldat dressa, et ledit RICQUEBOURG la copia et signa, après quoi il fut encore remis dans le cachot le même jour à nuit fermée, on lui annonça que ses affaires allaient bien; le lendemain on l'emmena devant ledit Sieur Gouverneur, où, à genoux, il lui demanda pardon, et lui dit par le conseil de Mr de CHAUVIGNY: «Monseigneur, vous nous avez fait la grâce de nous donner une amnistie générale de toutes les fautes passées où je crois être compris»; et il lui fut répondu par ledit Sieur Gouverneur que oui, mais que c'était pour des crimes particuliers, alors le bon soldat Sieur de CHAUVIGNY prit la parole et dit au Gouverneur : «Monsr, vous m'avez promis une chose, c'est celle-ci que je vous demande », auquel ledit gouverneur répondit: «il est vrai que je vous ai promis une chose, Monsieur, la voilà, et ne m'en demandez point d'autres». Le Gouverneur, se tournant ensuite vers ledit RICQUEBOURG, lui dit qu'il avait de grandes obligations audit Sr de CHAUVIGNY, et après, ledit bon soldat dit audit RICQUEBOURB: «Vas-t-en, tu es présentement aussi net que l'enfant qui vient de naître», comme voulant dire que cette obligation de cinquante écus qu'il leur avait signée aussi injustement que violemment, l'avait purgé et justifié des crimes qu'ils lui imposaient faussement pour avoir ces 50 écus, et comme le 2 février 1690 il n'avait encore payé que trente écus des cinquante dont il leur avait signé une obligation par violence, le Sr BIDON ayant rencontré ce même jour ledit RICQUEBOURG, il lui fit lecture d'une lettre de Mr de CHAUVIGNY sous le pouvoir de Mr de VAUBOULON, qui marquait qu'il ait à finir de payer promptement lesdits cinquante écus audit BIDON
2.469 crainte de tomber de fièvre en haut mal; ledit RICQUEBOURG ayant donc payé le reste de ladite somme audit BIDON lui en demanda un reçu, auquel fut répondu par le Sr BIDON que Mr de VAUBOULON, Gouverneur, le lui avait défendu et lui avait fait même une réprimande de ce qu'il avait donné un reçu de 24 tt qu'il en reçut pour commencer à payer ladite somme, et ce qui est encore décrit dans ce nouveau contrat de son habitation qu'on lui a fait prendre par force et chèrement vendu, on a marqué que tous les ans, il payerait de rentes au Gouverneur deux cents livres de riz blanc, cent livres de froment et six-cents livres de coton filé, quoiqu'il n'ait qu'un arpent et demi de terre valable, ce qui lui est entièrement impossible de payer . Ce n'est ici qu'un abrégé de la plainte que ledit RICQUEBOURG a dressée, où l'on verra beaucoup de friponneries, de malices, d'injustices et de violences dudit Sr Gouverneur. 8- Voyez une histoire qui justifie ledit RICQUEBOURG et fait connaître qu'il n'était criminel que pour le refus qu'il fit du commencement de payer les cinquante écus qu'on lui demandait, un nommé François RIVIÈRE, habitant de St- Paul, fut averti, à l'instigation de Monsr le Gouverneur, par un nommé MUSSARD, qu'il ferait fort bien d'aller à St-Denis demander un contrat de son habitation, qu'autrement il s'exposait à la perdre. Ledit François RIVIÈRE répondit que l'ayant achetée et bien payée, qu'il ne voyait pas qu'on lui la peut ôter, néanmoins ledit MUSSARD le persuada si bien qu'il partit à ce dessein pour St-Denis, et rencontra dans son chemin ledit RICQUEBOURG, qui, après voir sorti du cachot comme ci-dessus, s'en retournait à sa maison, ledit Sr Gouverneur voyant ce François RIVIÈRE, lui demanda le sujet de son voyage, à quoi il répondit que MUSSARD lui avait conseillé d'y venir pour retirer un contrat de son habitation, auquel ledit Sr gouverneur répondit que MUSSARD était un brave homme qui entendait bien les affaires, qu'il avait bien fait de le croire, parce que tous les autres gouverneurs n'avaient pas le pouvoir de rendre leurs terres héréditaires ni vendables comme lui, qu'aucun habitant de l'Ile n'avait le pouvoir de vendre ni acheter des terres parce qu'elles lui appartenaient toutes, et qu'ayant des contrats de sa main,
2.470 qu'elles deviendraient aliénables et qu'ils en pourraient disposer comme il leur plairait. Là-dessus, il l'envoya prendre un contrat de son bon soldat, Sieur de CHAUVIGNY, qui le reçut avec de grandes caresses, lui fit boire de l'eau-de-vie, et lui demanda ensuite ce qu'il donnerait pour son habitation, ils convinrent à la parfin de 22 écus en argent, et comme il n'en avait pas sur lui, Monsr de CHAUVIGNY dressa une obligation de 22 écus que celui-ci signa, après quoi ledit Sr de CHAUVIGNY fit son contrat et y marqua pour rentes annuelles six-vingts livres de froment, douze volailles et six livres d'aloès, rentes qui sont comme impossibles de payer, et en lui donnant ce contrat, lui dit qu'il eût à payer promptement et prendre garde de faire le fat comme ledit RICQUEBOURG; quelques jours après que ledit RIVIÈRE fut de retour à St-Paul, ledit BIDON le somma de la part de mr de CHAUVIGNY de lui payer les 22 écus qu'il devait (en vertu de ladite obligation fausse et violentée audit Sr de CHAUVIGNY), ce qu'il paya audit BIDON en présence de plusieurs là pr(ésents) et en ayant demandé un reçu, BIDON lui répondit qu'il avait défense d'en donner à personne. 9- Parce qu'il faisait signer aux habitants des papiers sans leur en faire lecture, comme entre autres un jour de fête, il leur présenta un papier à signer, leur disant seulement que c'était une réponse à la lettre dont Sa Majesté les avait honorés, et qu'il leur en ferait lecture après la messe, et incontinent qu'ils eurent signé, leur jeta un autre papier, leur disant: «signez encore celui-là, après la messe je vous en dirai le contenu», mais il ne leur en a jamais plus parlé, on a du depuis ouï dire qu'en cette dite réponse qu'il a faite au Roi, au nom des habitants, il le suppliait de leur part de leur envoyer des soldats pour la garde de l'Ile, pendant qu'ils seraient occupés à leur labeur, et c'est de quoi ils ne lui ont jamais parlé ni même pensé, mais bien le contraire; a pareillement fait signer leurs interrogatoires à ceux qu'il a juridiquement interrogés sans leur en faire aucune lecture, quoique le Sr BIDON dise qu'il a toujours lu leurs interrogatoires aux interrogés, mais que RICQUEBOURG, Henri BROCUS et Pierre LESUR, qui tous trois ont été interrogés en divers temps, disent et soutiennnent qu'on ne leur a pas lu leurs interrogatoires
2.471 entre autres rendent ledit BIDON suspect comme on le verra dans la suite, l'une est un reçu qui me semble faux qu'il a fait signer à Izaac BEDA, Hollandais, et l'autre qu'il a dit devant trois ou quatre personnes que si ledit Gouverneur était mort, qu'il dirait bien des choses; on remarquera que tous les interrogatoires, sentences, ordonnances dudit Sr Gouverneur sont en des feuilles volantes, qu'il ne tient point de livres chiffrés consignés pour son greffe. 10 - Pour avoir pris cinquante écus à deux petites mineures dont l'habitation avait été vendue à l'encère et achetée cent écus par Izaac BEDA, Hollandais, deux ou trois ans devant la nomination dudit Sr Gouverneur à ce gouvernement, et comme leur tuteur refusait d'en rendre la moitié, disant que les mineures les lui demanderaient, lorsqu'elles seraient en âge, ledit Sr Gouverneur, ayant un peu réfléchi, s'avisa d'un tour digne de lui qui fut de faire appeler à St- Denis ledit Hollandais, auquel il dit qu'il lui voulait faire rendre par MUSSARD, tuteur desdites mineures, la moitié des cent écus qu'il avait donnés audit MUSSARD pour l'achat de l'habitation desdites deux mineures, mais qu'il fallait signer un reçu audit tuteur, et qu'il entra dans la chambre dudit Sr BIDON, notaore, pour signer ledit reçu qui avait été fabriqué par la malice et friponnerie dudit Sr Gouverneur et transcrit par ledit Sr BIDON notaire, qui sait autnt la pratique que l'enfant qui vient de naître; cedit Hollandais, marié en cette Ile, croyant que véritablement on lui allait rendre la moitié des cent écus qu'il avait payés pour son habitation comme trop chèrement vendue, le Gouverneur lui disant que le Roi n'entendait pas qu'on vendît si chèrement les terres, entra dans ladite chambre où, ne voyant pas lesdits 50 écus, refusa de signer ledit reçu, ce qui opbligea ledit BIDON d'en avertir ledit Sr Gouverneur, qui se fit alors compter les 50 écus par MUSSARD, et ledit BIDON, retournant en sa chambre, dit à ce Hollandais qu'il eût promptement à signer ledit reçu, puisque MUSSARD comptait lesdits 50 écus sur la table du Gouverneur, ledit Hollandais, croyant qu'on les lui donnerait, signa promptement ledit reçu et s'en courut incontinent à la chambre dudit Sr Gouverneur, qui, voyant ce Hollandais, se mit à verser cet argent de dessus sa table de sa main droite en sa gauche, et, éclatant de rire, disait audit Hollandais: «Ah! Mon enfant! Cet argent t'incommoderait»,
2.472 fourbant ainsi ce pauvre Hollandais, et volant à ces deux pauvres mineures la moitié de la vente de leur habitation. Je m'oublie de dire encore que ledit Sr Gouverneur, voyant que ledit Hollandais refusait de signer le reçu, qu'il n'eût premièrement touché lesdits 50 écus, le menaça s'il ne le signait, de surcharger sa terre de tant de rentes qu'il s'enfuir souviendrait. Copie d'un billet sans date ni signé, écrit de la propre main dudit Sr Gouverneur à MUSSARD : « Monsieur, on me demande une garantie contre vous de cent écus qu'on a payés d'une habitation, c'est le Sr Izaac, je n'ai rien voulu déterminer sans voir ce que nous pouvons en rigueur de justice, cela vous fera de l'embarras, voyez ce que je peux faire là-dessus pour vous obliger» C'est une friponnerie dudit Sr Gouverneur de dire qu'Izaac BEDA lui ait jamais demandé ladite garantie ni autre, mais c'est lui qui a forgé cela de sa tête pour jouer ce beau tour de gibecière, et afin d'attirer ledit MUSSARD à St-Denis où il avait aussi fait appeler ledit Izaac, auquel il témoigna, comme j'ai marqué ci-dessus, que Sa Majesté n'entendait pas qu'on vendît si chèrement les terres, c'est pourquoi il l'avait fait appeler pour lui faire rendre cinquante écus, mais qu'il était juste qu'il en signât un reçu au pauvre MUSSARD, pour le mettre à couvert de la recherche que lui en pourraient fire un jour les deux dites mineures ? comme ci-dessus. Copie dudit reçu : Fut présent en sa personne Izaac BEDA, Hollandais, lequel a reconnu et confessé par-devant moi, notaire, avoir retiré des mains du Sieur MUSSARD le somme de cinquante écus faisant moitié de celle de trois cents livres dont il avait payé l'habitation où il demeurait, qui avait appartenu au nommé Pierre COLLON, laquelle somme de cinquante écus Monseigneur de VAUBOULON, notre Gouverneur a jugé et ordonné lui être restituée par Mr MUSSARD, ladite habitation lui ayant été vendue, de laquelle somme il quitte ledit MUSSARD
2.473 soi-disant faire pour les enfants mineurs dudit COLLON et qu'il ne puisse être recherché, dont il lui a fait la présente quittance en mon étude à St-denis, Ile de Bourbon ce deux(ième) jour de mars mil six cent quatre vingt-dix, où ledit BEDA a signé avec moi, ainsi signé sur l'original Izaac BEDA et BIDON, notaire royal. Je laisse à penser à ceux qui liront tout le contenu du dix(ième) article quel peut être l'homme qui en agit de la sorte, et s'il n'est pas capable de tout ce qui est répréhensible. 11- Pour avoir fait emprisonner fort injustement le grand Jan avec menace de l'y laisser pourrir s'il ne lui rendait trois cent quinze livres qu'il avait reçues pour la vente de son habitation et de son petit meuble, laquelle vente avait été faite plus d'un an devant que ledit gouverneur fût nommé au gouvernement, et aurait sans doute fait crever ledit grand Jan dans le cachot, ne l'y nourrissant que d'eau et de quelques patates, n'était que Mr CALVÉ, premier lieutenant du vaisseau Les Jeux pria avec tant d'instance ledit sieur Gouverneur pour son élargissement qu'il ne le lui osa refuser, de la crainte qu'il avait de passer pour un tyran et qu'il n'en parlât en France. Il obligea néanmoins ledit grand Jan à travailler pour lui sept mois sans aucune récompense, le menaçant de temps en temps de le remettre dans le cachot et l'y laisser pourrir. A ce propos, je dirai qu'un habitant appelé Vincent d'EAÜE, le second chirurgien du vaisseau Le St-Jean échoué, ayant tous deux bu pintes d'eau-de-vie ensemble se prirent aux cheveux, et sans autre male fureur tout incontinent séparés, cela ayant été rapporté audit Sr Gouverneur, il fit mettre le lendemain ce Vincent d'EAÜE tout seul au cachot, où il le laissa deux fois 24 heures sans boire ni manger, quoique ils fussent aussi coupables l'un que l'autre, et qu'aucun des deux ni autres s'en fussent pris à lui, on croit qu'il avait pris ce prétexte pour emprisonner Vincent D'EAÜE et le traiter si
2.474 inhumainement à cause qu'il lui avait demandé le payement de quelques denrées qu'il lui avait fournies et demandé un reçu de quelque payement qu'il lui avait fait, c'était son ordinaire de laisser les personnes au cachot 24 heures sans boire ni manger, et souvent pour des choses qui n'étaient fautes que dans la malignité du naturel dudit sieur de VAUBOULON. 12- Pour avoir fait tuer par ses gens, le 17 7bre dernier le pourceau d'un habitant proche de son habitation, et avoir cherché d'en tuer d'autres, ce que la femme de cet habitant ayant su, elle fit enlever son pourceau pendant que les gens dudit Sieur Gouverneur étaient allés lui en donner avis, pour qu'il eût à faire préparer du sel et un barreau pour le mettre et chercher des nègres pour l'apporter; ses gens étant donc retournés avec les nègres pour enlever cette prise, apprirent que la maîtresse de ce porc l'avait fait transporter en leur absence, ce que les fripons ayant rapporté audit Sr Gouverneur, il en pensa crever de dépit et de honte, et cette femme s'étant allée plaindre à lui de ce que ses gens avaient tué son pourceau, il leva la canne sur elle trois ou quatre fois, et l'ût, croit-on, frappée tant il est brutal, n'était qu'elle tenait un enfant à la mamelle, mais outre plusieurs injures, il lui dit comment elle avait été assez hardie de faire enlever ce pourceau, à quoi ayant répondu qu'elle croyait qu'il était permis à un chien de prendre son bien où il le trouve, «non, madame, dit le Gouverneur d'un air furieux et violent, je prétends que tout ce qui est en cette Ile m'appartient, et quand j'aurai besoin de cochon, j'en enverrai prendre de votre part, et ainsi de toutes autres choses tant à vous qu'aux autres habitants de mon Ile». 13- Pour avoir, le 17 octobre de la même année que dessus, maltraité le sieur FIRELIN ( Commis de la compagnie ) dans son magasin y faisant son devoir, menaçant entre autres de le faire pourrir dans un cachot, et six jours après l'interrogea juridiquement et violemment
2.475 selon son ordinaire, la porte de sa chambre fermée, les pistolets sur sa table tout contre lui, avec des menaces continuelles pendant ledit interrogatoire, lui disant entre autres choses qu'il n'en était pas au bout, etc, pour l'épouvanter et troubler en ses réponses. 14- Pour avoir fait, le 29 de c même mois et de la même année 1690, afficher une ordonnance à la fenêtre de l'église qui portait six livres d'amende pour la première fos et punition corporelle pour la seconde à ceux des ouvriers et audit sieur FIRELIN même qui manqueraient à se ranger chez eux sur les six heures du soir, sans que jamais il y ait eu la moindre plainte d'eux, et lui ayant été dit que cette ordonnance n'était qu'un piège qu'il leur tendait pour les prendre, ledit Sieur Gouverneur répondit qu'ils en verraient bien d'autres, et qu'ils n'étaient pas au bout. 15- Pour avoir fait attacher, le 14 novembre de ladite année Henry BROCUS au carcan, la corde au col, avec un écriteau sur la poitrine, et en cet état, fait amende honorable devant la porte de l'église, et là, à haute voix, demanda pardon à Dieu, au Roi et à la Justice, la tête nue, les mains liées et en chemise, et sa femme blâmée, et à aumôner six livres, et en cas de récidive, tous deux condamnés à être pendus et étranglés jusqu'à ce que mort s'ensuive, sans qu'il soit besoin d'autre jugement, et tout ce jugement inique sur les témoignages d'un petit nègre né le 2e mai de l'an 1685, et d'une négresse folle et malicieuse, comme on le verra dans la suite, avec les témoignages signés des habitants, qui tous deux déposèrent que ledit Henry BROCUS et sa femme avaient retiré Pierrot le nègre chez eux deux ou trois jours, et lui avaient offert un pistolet, du lait et de l'oignon en sa fuite, sans attendre le retour ou la prise dudit Pierrot pour en savoir la vérité; que ledit Sieur Gouverneur, se prévalant de la puissance souveraine et absolue dont il s'est toujours vanté dans ses discours, dans ses menaces et dans ses lettres, avait condamné comme dessus ledit Henry BROCUS et sa femme tout ?
2.476 sans Procureur du Roi ni autre juge ou adjoint que le Sieur BIDON, greffier, qui s'opposa si fort à ce jugement inique que le Gouverneur se mit en colère contre lui et furent deux ou trois jours sans se parler pour ce sujet, ledit BIDON dit encore qu'il ne fut nullement présent ni participant à la conclusion ni à la lecture de la sentence qui à son défens fut lue audit Henry BROCUS (par ordre dudit Sr Gouverneur par LA CITERNE, son serviteur et sergent, que même ledit BIDON s'enferma dans sa chambre pour ne pas voir l'exécution de la sentence, quoique Monsr le Gouverneur l'en eût beaucoup sollicité. J'ai toutefois vu le signe dudit BIDON au bas de la sentence d'Henry BROCUS, il y a là dessous quelque mystère que je n'ai encore pu découvrir. Je m'oubliais de marquer que ladite négresse naquit l'onzième jour de juillet 1677, ce que j'ai tiré ainsi que l'âge dudit petit nègre des Registres des baptêmes de cette ile Bourbon; que pareillement ledit Sr Gouverneur a dit à Monsr TALHOIT, messieurs LE ROY, BIDON et DES ROCHERS présents: «il y en a, m'a-t-on rapporté, qui disent que je ne peux pas juger tout seu», à quoi personne ne répondit. Il faut encore remarquer que ledit Sieur Gouverneur a condamné, (comme dit est) ledit BROCUS et sa femme sur les témoignages dudit petit nègre et de ladite négresse, après avoir refusé, quinze ou 16 jours auparavant, le témoignage de Louis Le Nègre, (âgé de 40 ans ou environ et estimé de tous), en faveur dudit FIRELIN pour le nombre des coups de bâton que ledit Sieur Gouverneur avait donnés audit FIRELIN, Louis le Nègre étant pr(ésent) dans ledit magasin lorsque ledit sr FIRELIN fut frappé par ledit Sr Gouverneur, ledit Sr Gouverneur disant alors que les nègres n'étaient pas reçus à des témoignages contre les Blancs, et du vrai, j'ai ouï dire à tous ceux des habitants qui ont vécu à Madagascar que Monsr LÉPINAY, auditeur des comptes à Paris et du depuis fait Procureur du Roi dans Madagascar, n'y avait jamais voulu recevoir le témoignage des Nègres contre les Blancs. Je ne puis assez admirer la manière d'agir dudit Sr Gouverneur, qu'aujourd'hui il refuse les témoignages d'un nègre âgé de 40 ans et
2.477 estimé de tous, disant que les nègres ne peuvent être reçus à témoignage contre les Blancs, et que quinze jours après, il condamne ignominieusement un homme et une femme sur les témoignages d'un fripon de nègre et d'une malicieuse négresse, et qui tous deux n'étaient pas en âge de porter témoignage, comme l'on verra dans la suite, avec les signes des habitants. Voici l'extrait de baptême du petit nègre dont Mr de VAUBOULON, gouverneur, a pris le témoignage contre Henry BROCUS et sa femme. Extrait des registres de baptêmes de l'ile Bourbon : Je soussigné certifie avoir baptisé l'enfant mâle d' Anthoine HAAR et Marie anne SINA sa légitime, auquel on a donné le nom de Jean, et naquit le 2 mai 1681 ; son parrain a été Jean BRUN, surnommé Jolicoeur; signé: F. Bernardin de Quimper cap. Ind. Je soussigné ai tiré le pr(ésent) extrait pour servir dans le besoin ce que de raison. Extrait du baptême de la malicieuse négresse . Extrait du registre des baptêmes de lIle Bourbon : Moi, frère Bernardin, capucin Ind. Certifie avoir baptisé le vingt juillet de l'année 1677, la fille du légitime mariage d'Eustache MITAF et de Marianne LANNE (?) sa mère, laquelle naquit l'onzi(ème) du mois et an que dessus, à laquelle on a donné le nom de Françoise, son parrain et sa marraine ont été Anthoine CADET et Elizabeth LANNE. Signé : F. Bernardin, capucin ind.
2.478 Déposition d'Honoré TOUCHARD,fort honnête homme craignant Dieu, vivant paisiblement avec tout le monde, duquel personne ne s'est jamais plaint depuis 24 ans qu'il est en cette Ile de Bourbon, qui a été le premier Prieur de la Confrérie du Mont Carmel, ici établie depuis trois ans ou environ, contre ladite malicieuse négresse d' Henry BROCUS Mon Révérend Père, Pour répondre à l'honneur de la vôtre, je vous dirai que la négresse d'Henry BROCUS qui s'appelle Françoise MITAF fut rendue toute petite chez moi où elle a demeuré environ six ans, nonobstant tous les soins que moi et ma femme avons pris de ? avec douceur dans la crainte de Dieu, nous y avons toujours apperçu de méchantes inclinations, surtout elle s'enfuyait du logis si souvent et sans aucun sujet, qu'elle était absente la moitié du temps, et s'allait cacher dans les bois et halliers où elle dormait et vivait de quelques patates ou bananes crues qu'elle dérobait de côté et d'autre dans le voisinage. Lors d'une de ses fuites, elle prit le temps que je travaillais à la Plaine et ma femme dans l'habitation proche la maison, pour mettre le feu dans mon magasin où étaient mon riz et toutes mes meilleures hardes, et là tout fut brûlé et consumé; étant attrapée par un des Noirs de Renaud, amenée à la maison, et interrogée si quelqu'un l'avait sollicitée de mettre le feu dans le magasin, elle répondit que non, et qu'elle l'avait fait deson propre mouvement, montra même le tison duquel elle s'était servie quelle avait caché parmi les broussailles proches la maison, elle pouvait avoir neuf ans ou environ lors de cet incendie. Déposition de tous les habitants de l'Ile en faveur d'Athanase TOUCHARD, Français, et d'Henry BROCUS, Hollandais, et de leurs femmes, contre Françoise MITAF, négresse qui a demeuré chez eux deux: Nous, soussignés certifions qu'Athanase TOUCHARD, Français, et Henry BROCUS, Hollandais, et leurs femmes
2.479 sont fort honnêtes personnes, vivant fort paisiblement en leurs cases et avec tout le monde, et que Françoise MITAF, demeurant depuis trois ans ou environ chez Henry BROCUS, aussi par ci-devant l'espace de six ans ou environ chez Athanase TOUCHARD, ainsi que ledit Athanase TOUCHARDI l'a déclaré en sadite déposition, et que depuis qu'elle est chez ledit Henry BROCUS, elle a aussi été la plupart du temps en fuite, quoique ledit Henry BROCUS, croyant l'arrêter, l'eût fait épouser à son Noir, et nonobstant s'enfuyant toujours comme par le passé, et sans sujet, son maître et sa maîtresse étant incapables, tant ils sont bonnes gens, de lui dire ou faire chose qui lui pût déplaire; elle aimait mieux vivre vagabonde dans les bois sous le pluies et autres injures du temps, n'y mangeant que des patates, bananes et autres vilaines crues qu'elle dérobait de côté et d'autre dns les habitations, et s'abandonner pendant ses fuites aux Noirs, ayant cette malice de se mettre dans quelque broussaille proche les lieux où elle savait que les Noirs passaient ordinairement, et paraissait à ceux qu'elle voulait, qui de nuit, lorsque leurs maîtres dormaient, l'allaient trouver dans les lieux assignés, et lui portaient ce qu'ils pouvaient dérober chez eux. Moi, Frère Hyacinthe, soussigné, certifie que depuis treize mois que je suis dans cette Ile, que je connais que ladite Françoise MITAF, malicieuse négresse, en a au moins passé neuf en fuite, par cinq ou six reprises, et ce qui est remarquable, c'est que lorsqu'on a déposé contre ledit Henry BROCUS et sa femme, ses maîtres et maîtresse, ce pouvait être par récrimination de ce que ledit Henry BROCUS son maîttre, elle était alors en fuite, et amenée audit Sr Gouverneur pour être châtiée, lequel dit Sieur Gouverneur, qui en voulait audit Henry BROCUS, puisqu'il l'avait emprisonné par ci-devant l'avoir pillé, pris son argent, cochons, boeufs,
2.480 jusqu'au chapelet de sa femme, qui pouvait valoir deux écus, et tout ce mauvais tiraillement pour on habitation qu'il avait achetée et payée il y avait trois ans ou plus. Ledit Sr Gouverneur se servit de cette occasion pour interroger juridiquement la malicieuse négresse et le petit nègre qui déposèrent contre ledit Henry BROCUS et sa femme, qui furent tous deux condamnés sur les dépositions de ladite négresse et dudit petit nègre comme ci-dessus marqué dans le 15e article. Et ladite malicieuse fut aussi alors châtiée de fleur de lys et du fouet par ordre dudit Gouverneur et eût eu quelque châtiment plus rude à cause de ses fuites si souvent réitérées, débauchant les Noirs à fuir avec elle, mais quelques charmes invisibles à tout autre qu'audit Gouverneur qui a avoué à quelques-uns avoir trouvé dans les yeux de ladite négresse l'en sauvèrent pour cette fois, après quoi étant retournée avec ses maître et maîtresse en leur case ignominieusement traités à cause d'elle, elle s'enfuit encore quinze jours après avec son frère qu'elle débaucha des services de son maître. Un mois après cette fuite, ils furent tous deux pris et emmenés à St-Denis d'où elle s'enfuit encore dix jours après, s'étant on ne sait comment détachée de ses chaînes, et est encore à présent en fuite dans la montagne avec quatre Nègres qui ont menacé de tuer et brûler les cases de ceux qui courront après eux. Pour ce qui est du susdit petit nègre, appelé Jean HAAR, qui a aussi déposé contre ledit BROCUS, comme on peut voir en l'article 15 de cet écrit, il avait avant sadite déposition déjà fui quatre fois de chez ledit Sr Gouverneur, et quand il déposa contre ledit Henry BROCUS, était en fuite de sa cinquième fuite. Voilà les deux beaux témoignages sur la
2.481 déposition desquels ledit Sieur Gouverneur a condamné comme ci-devant ledit Henry BROCUS et sa femme. 16- Aurait aussi interrogé juridiquement en présence du Sieur BIDON, greffier, Pierre LESUR, taillandier de la Compagnie comme pr(ésent) lorsqu'il frappa le Sieur FIRELIN, Commis de la Compagnie, lui demandant s'il lui vait vu donner plus d'un coup au Sieur FIRELIN, et quoi que ledit Pierre LESUR déposait avoir vu ledit Sieur Gouverneur donner plusieurs coups audit FIRELIN, néanmoins ledit Sieur Gouverneur dit à BIDON, greffier, écrit que ledit Pierre LESUR aurait déposé que le Sieur Gouverneur n'aurait donné qu'un coup audit Sr FIRELIN, et comme ledit BIDON se mit à regarder le Sr Gouverneur sans rien écrire, comme lui disant tacitement que Pierre LESUR déposait autrement qu'il ne lui voulait faire écrire, ledit Sr Gouverneur dit à BIDON, greffier : "écrivez ce que je vous dis, que vous êtes toujours un grand raisonneur" et fit ensuite audit Pierre LESUR mettre sa marque au bas de son interrogatoire sans qu'on lui en ait eu auparavant fait lecture. 17- Pour avoir encore le 21 de ce mois, fête de la Présentation de la Ste Vierge, menacé le Sr FIRELIN de prendre garde à soi, et que lorsqu'il y penserait le moins son procès serait fait, aurait aussi envoyé toutes les nuits son monde armé courir les habitations du Quartier de St-Denis, qui entrait tout de nuit à l'improviste dans les cases où ils fouillaient de tous les côtés, feignant de chercher trois nègres qui étaient en fuite, quoique ils sussent qu'en cette Ile on ne donnait aucune entrée aux nègres dedans les cases.
2.482 18- Enfin ce pauvre peuple, voyant que ledit Sr Gouverneur n'était pas rassasié de l'argent qu'il leur avait pris en leur faisant acheter leurs terres qu'il avaient achetées de bon argent et défrichées à la sueur de leurs fronts, qui depuis 20 ans, qui qui moins, par la concession des autres Gouverneurs, les avait encore surchargés de grosses rentes, que, non content de leur ôter la meilleure partie de la vie en leur défendant l a chasse, envoyait encore tuer leurs pourceaux qui étaient le peu qui leur restait pour vivoter et se défendre des cris aussi importuns qu'affligeants de leurs enfants qui se sont fort souvent allés coucher sans avoir mangé qu'une banane ou deux, ou sucé un morceau de canne de sucre, lui qui avait des boeufs en ses parcs, qui envoyait tous les jours à la chasse des boeufs marrons dits sangliers, des cabris, de la tortue, et de tout le gibier que souhaitait son appétit, qui, outre le riz et le froment, retirait encore de ce peuple pour rentes annuelles plus de deux cents volailles, comme dindons, chapons et poules grasses, et plus de trente gros cochons, menaçait encore que tout lui appartenait, et qu'il les enverrait prendre quand il lui plairait, non content encore de ce que dessus, les menaçait aussi tous les jours de paroles et d'écrits, du cachot, du carcan, du fouet et de la corde, menaçant même le commis de la Compagnie d'écrits et de paroles, de punition corporelle et que lorsqu'il y penserait le moins son procès lui serait fait, et, passant des menaces aux effets, frappa ledit Sr FIRELIN, Commis de la Compagnie, en son magasin y faisant son devoir, et lui dit selon son ordinaire des injures indignes de ce qu'il se dit être, condamna pareillement Henry BROCUS et sa femme à des châtiments ignominieux ( comme ci-dessus marqués ) sans observer aucune formalité de Justice, toutes lesquelles dites co
2.483 et autres que les habitations déclareront au Commissaire qui viendra, aurait jeté une telle épouvante et causé une telle alarme parmi ce peuple qu'on ne parla que d'abandonner les cases pour s'enfuir dans les montagnes où, sans doute, beaucoup d'eux fussent morts de chagrin, de misère et de maladie, ce qui aurait fourni un prétexte spécieux audit Sr Gouverneur de piller leurs cases, les brûler, et d'envoyer tirer sur eux, ou prendre pour les faire pendre selon ses menaces ordinaires. Moi donc, voyant ces miséreux, entendant leurs plaintes, leur dessein de s'enfuir, et considérant les troubles et le désordre que cela causerait aux sujets de Sa Majesté, et que le mal pressait trop pour lui en donner avis et en recevoir un prompt soulagement, vu les guerres avec les voisins et l'éloignement de cette Ile de la France, et que cette Ile n'a de commerce avec aucune nation, toutes les raisons, très bien et très mûrement examinées, j'ai cru qu'il serait à propos de l'arrêter et mettre au cachot, pour conserver cette Ile au Roi, que Dieu conserve et bénisse en tout et partout, et pour aussi mettre leurs biens et nos vies en sûreté de ses mauvais desseins, de ses violences et des menaces qu'il faisait continuellement aux habitants de la corde, etc. A ces causes, j'ordonnai audit Sieur FIRELIN, aux ouvriers et aux habitants des Quartiers de St-Denis et de Ste-Suzanne de s'en saisir sur ma parole, et leur marquai le jour et la manière qu'il fallait tenir en cette entreprise pour empêcher tout désordre, violence ou effusion de sang de part et d'autres, ce qui a réussi, ( grâces à Dieu ), ainsi que je le souhaitais. En foi de quoi j'ai signé la présente déclaration avec ledit Sieur FIRELIN, les ouvriers et habitants des Quartiers de St-Denis et de Ste-Suzanne, et les habitants du Quartier de St-Paul l'ont pareillement voulu signer de leur plein gré et franche volonté,
2.484 sans en avoir été requis. Nous entendons aussi qu'il signé des habitants ci-dessous, signées auront valeur pour les extraits de baptêmes dudit petit nègre et de ladite négresse, et pour les dépositions d'Athanase TOUCHARD contre ladite négresse et des habitants en faveur d'Athanase TOUCHARD et d'Henry BROCUS et de leurs femmes contre ladite négresse et dudit petit nègre. F. Hyacinthe de Quimper, capucin missionnaire et curé de l'Ile de Bourbon. Jacques BARRIÈRE Robert DU HAL FIRELIN illisible TALHOIT marque + de Jacques marque de Pierre MAILLOT + MARTIN illisible marque + de Roger ROYER ANGO Henry BROCHUST François M VALLÉE marque + de Jullien ROBERT marque + A de Marc VIDOT marque de + Guillaume BOUYER Jan + JULLIEN Jan + LE BRUN Arzul + GUICHARD marque + de Jan ARNOULT marque + de Jan PERROT J. LAURET
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