Procès Vaubulon
Procès-Verbal contre le gouverneur VAUBOULON
2.462
Procès-verbal
contre Monsr
de VAUBOULON
2.463
L'an mil six cent quatre vingt dix, le vingt-six novembre,
je, Frère Hyacinthe de Quimper, capucin, soussigné, fis mettre dans
le cachot Henri HABERT de VAUBOULON, Gouverneur pour le
Roi dans cette Ile Bourbon, mon acte pour les raisons
suivantes :
1- Afin de conserver ladite Ile à Sa Majesté Très Chrétienne,
que Dieu conserve en tout et partout, contre
les desseins qu'avait ledit Sieur Gouverneur de se perpétuer en ce
gouvernement contre les ordres mêmes de Sa Majesté,
par des voies violentes ainsi que nous en avons des témoins.
2- Pour les tyrannies et violences qu'il avait commis et commet
tous les jours surles habitants de ctte Ile.
3- pour nous mettre à couvert des menaces qu'il avait et faisait
journellement, tant de paroles que par écrit, de punitions
corporelles, de faire pourrir dans un cachot et de pendre sans
exceptions de personnes ni d'état.
4- Pour avoir souvent dit que tout ce qui était dans l'Ile lui
appartenait, même les hardes des p.p. Capucins, que personne
des habitants n'avaient rien en propre, que tout était à lui, que
ce n'était pas à des canailles de la sorte d'avoir de l'argent, qu'il
prétendait non seulement de fouiller leurs coffres tant et quantes
fois qu'il lui plairait, mais encore que si quelqu'un de ses
gens le leur demandait en son nom quoique à son insu,
qu'ils le laissassent faire, ce qui fut cause que plusieurs mirent
de leurs hardes chez nous en garde, et qu'ils ont retirées après la
capture dudit Sieur Gouverneur.
5- Pour avoir dès son arrivée en cette Ile fait appeler un habitant
de St-Denis que se nomme Pierre MARTIN, auquel il dit avoir
appris que sa femme Nicole COLLON, parisienne, avait été cause,
quoique innocemment, de la mort d'une petite négresse, et qu'il
à la lui faire venir pour en répondre. Ladite Nicole COLLON était
donc en présence dudit Sieur Gouverneur. Il lui dit qu'il avait appris
ledit accident, à quoi elle répondit que l'accident était vrai, mais
que Monsieur BOUREAU, Commissaire Général, pasant par ici, avait
jugé et terminé cette affaire et donné sentence là-dessus, sur quoi,
ledit Sieur Gouverneur demanda ladite sentence, la prit et l'a tellement gardée
qu'on ne sait plus ce qu'il en a fait, et répondit à ladite Nicole COLLON
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que Monsieur BOUREAU n'avait point pouvoir en cet état,
qu'elle eût ainsi à penser à quoi se résoudre, que lui était
non seulement Gouverneur, mais encore juge en dernier ressort
et en toutes sortes de matières, qu'il la pouvait condamner ou
absoudre comme il lui plairait; à ce discours, ladite femme
avec son mari, se voyant menacés et ne sachant que
faire, furent abouchés par Monsir de CHAUVIGNY et Monsr
DUBOYS, capitaine du Petit St-Jean qui était encore en cette
rade, et qui, 20 jours après, échoua à St-Paul, que tous deux
étaient d'intelligence avec ledit Sr Gouverneur, leur dirent qu'il
fallait faire un présent au Gouverneur, ce qu'ils acceptèrent après
s'en être beaucoup défendus, de la crainte qu'ils avaient de
quelque châtiment ignominieux. Voici une copie de la
lettre que Monsr de CHAUVIGNY écrivit audit Sieur Pierre
MARTIN pour venir promptement apporter de l'argent, savoir
cinquante livre pour la partie, cent dix-huit livres
pour le Sieur Gouverneur:
«Je vous envoie cet exprès, Maître Pierre, pour vous donner
avis que votre affaire est entièrement finie et terminée,
Monsr le Gouverneur l'a expédiée dans toutes les formes,
c'est pourquoi cependant que le fer est chaud, venez-vous-en
et apportez de quoi satisfaire votre partie et ce qui faut
pour retirer vos lettres. Je vous attends et suis tout à vous
De CHAUVIGNY»
voyez les termes de sa lettre de grâce qui sont faux.
Ladite COLLON ayant recours à notre autorité et clémence nous
avait très humblement suppliés de lui accorder nos lettres
de grâce et d'abolition sur ce nécessaire, à ces causes
bien loin que ladite COLON ni son mari ayant eu recours à son
autorité ni à sa clémence, ni de l'avoir humblement supplié
de leur accorder des lettres de grâce et d'abolition, c'est que ledit
Pierre MARTIN et sa femme s'en sont toujours défendus
représentant qudit Sieur Gouverneur qu'ils tenaient à la sentence
dudit Sieur BOUREAU, Commissaire Général, mais il leur fallut
céder à ses menaces, et quelques jours après, ledit Sieur Gouverneur,
demandant encore quelque argent audit Me Pierre, le pauvre
homme marqua quelque chagrin en son visage, dont
le Gouverneur s'apercevant, lui dit tout en colère: «ne viens-
tu pas ici?» et lui portant la main au visage, lui dit:
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«Je n'aime pas ces colériques, tu ne me connais pas encore, quand.
« je frappe, je frappe bien fort, monsieur, répondit maître
Pierre, je ne suis pas en colère, mais vous me mettez dans
l'impuissance de satisfaire à vos demandes continuelles», à quoi
ledit Sieur Gouverneur répondit: «tu n'es pas encore à bout, je t'en
ferai bien d'autres».
6- Pour avoir fait payer violemment aux habitants de cette Ile
leurs habitations, quoique ils les eussent défrichées il y avait
plus de 20 ans, qui plus qui moins, à la sueur de leurs fronts,
avec la permission des précédents Gouverneurs dont ils avaient
des papiers, que ledit Sieur gouverneur a rebutés, disant que les autres
Gouverneurs avaient bien pu permettre de défricher des terres,
mais qu'ils n'avaient jamais eu le pouvoir comme moi de les
rendre héréditaires à vos héritiers ni vendables à qui il
vous plairait, c'est pourquoi il emprisonnait et chassait
de leurs habitations ceux qui refusaient de lui payer ce qu'il
demandait, menaçait et emprisonnait pareillement ceux qui
ne lui rendaient pas l'argent qu'ils avaient touché de la vente
de leurs habitations, quoique vendues plusieurs années devant
qu'il fût nommé au gouvernement (ou prenait leurs négresses
quand ils n'avaient pas d'argent), disant que cet argent lui
appartenait, n'ayant jamais eu, disait-il, de véritable Gouverneur
en cette Ile de Bourbon que lui, et que toutes les terres lui
appartenaient; vous verrez dans la suite quelques preuves
de ce que j'ai avancé ci-dessus.
7- Pour avoir violemment et tyraniquement traité François
RICQUEBOURG, qui étant le 16 janvier de l'an 1690 venu à St-Denis
pour acheter des marchandises au magasin, Monsr de
VAUBOULON, Gouverneur, l'ayant su, et craignant qu'il ne trouverait
point d'argent à piller s'il laissait les habitants les puiser
le magasin, les voulut prévenir, c'est pourquoi il fit appeler
ledit François RICQUEBOURG, lui fit connaître qu'il serait
à propos de prendre un nouveau contrat de son habitation pour
le rendre héréditaire et vendable, quoique il en eût déjà un
de Monsr de FLEURIMONT, précédent Gouverneur, comme d'un
achat fait d'un nommé Jean BELLON, son beau-père, il consentit
néanmoins à prendre un contrat, lequel était fait par
Monsr de CHAUVIGNY, il lui demanda trente pistoles,
2.466
ce que ledit RICQUEBOURG ne pouvant donner, il prit congé et
s'en alla; ledit Sieur Gouverneur ayant appris qu'il refusait de payer
cette somme, le fit appeler et lui dit: «Je crois que tu te moques
de Monsr de CHAUVIGNY», à quoi ledit RICQUEBOURG répondit
qu'il était dans l'impuissance de satisfaire à la demande de
Monsr de CHAUVIGNY, alors ledit Sieur Gouverneur le traita de coquin
et d'autres paroles qu'un homme d'honneur ne voudrait avoir
prononcées, menaçant de le chasser de son habitation pour y
mettre des nègres, et que la moitié de ce qu'il avait était
au Roi, lui fit rendre les lettres qu'il lui avait données
pour quelques habitants de St-Paul, lui disant qu'il ne se
voulait plus servir de lui, ledit RICQUEBOURG tout affligé d'un
tel traitement et de telles menaces, partit pour St-Paul où
trois jours après son arrivée, vinrent chez lui le Sr BIDON et
Jacques FONTAINE, le menuisier capitaine du Quartier St-Paul,
tenant un mousqueton en mains, qui le somma de la part
dudit Sieur Gouverneur de lui donner cinquante écus tout
présentement, faute de quoi il avait ordre dudit Sr gouverneur
de se saisir pour le Roi de toutes ses hardes et meubles,
de le chasser de son habitation et d'y mettre quatre nègres là
présents aussi, armés de haches et pioches pour (à ce qu'ils
ont du depuis déclaré) rompre les coffres dudit RICQUEBOURG,
qui, épouvanté de ce procédé aussi inique que tyrannique,
demanda audit Sr BIDON s'il lui serait permis de prendre ses hardes,
lui fut répondu que non, lui demanda pareillement s'il lui
serait permis de mettre ses hardes en compte et d'en faire un
état, lui fut encore répondu que non par ledit BIDON,
disant qu'il n'avait ordre seulement que de laisser prendre à sa
femme ses hardes à elle et de ses enfants, et que tout le reste
était au Roi. Ledit François RICQUEBOURG, après avoir ouï
cette signification verbale dudit BIDON de la part du Roi et du
Sieur Gouverneur, obéit promptement, et ayant demandé où
il se retirerait, ledit Sr BIDON lui répondit que s'il s'approchait
des habitations qu'il y avait ordre de tirer sur lui comme
sur un chien; ledit RICQUEBOURG se voyant ainsi maltraité
et menacé consentit à leur persuasion à faire et signer
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une obligation (comme il fit) au Gouverneur, qu'il lui paye(rait)
cinquante écus en marchandises comme en blé, riz et volailles
? faute d'argent; quelques jours après ledit BIDON avertit ledit
RICQUEBOURG de la part du Gouverneur de se rendre au plus tôt à St-
Denis, et qu'il prît garde de lui donner la peine de l'envoyer
chercher, il y fut donc et à son arrivée sans autre discours
ni raison, ledit Sr Gouverneur commanda de le mettre au cachot.
Le pauvre affligé se jetant à ses pieds lui demanda pardon
si par ignorance il pouvait avoir été assez malheureux
de lui déplaire en quelque chose; étant donc au cachot, Mr
de CHAUVIGNY, (qui faisait le bon soldat), le fut voir et lui
dit que Monsr le Gouverneur était beaucoup fâché contre lui
de ce qu'il ne lui voulait payer lesdits cinquante écus en argent
comptant et monnayé, que c'était à ce sujet qu'on le tenait
au cachot; le lendemain, ledit Sr Gouverneur le fit venir en sa
présence et l'interrogea juridiquement, les pistolets sur sa
table, et comme ledit RICQUEBOURG répondait justement et
clairement à ses interrogations, ledit Sr Gouverneur lui fit
se taire, lui disant malicieusement qu'il ne fallait répondre
que oui ou non, le menaçant en outre, qu'il n'était pas où
il en croyait, qu'il lui ferait couper le poing et autres
menaces pour le troubler en son interrogatoire, qui est la
manière d'agir que ledit Sr Gouverneur a toujours tenue en
ses interrogatoires, comme l'on verra dans la suite, et quoi-
que les réponses que donna ledit RICQUEBOURG en cet
interrogatoire violent fussent si justes qu'il n'y avait pas
la moindre matière d'aucun châtiment, néanmoins ledit Sr
Gouverneur, poussé de son avarice comme de sa malice et
du dessein qu'il a toujours eu de faire pendre et châtier
quelques habitants comme il l'a souvent publié dans ses
menaces et dans ses discours, à dessein d'épouvanter les
autres afin de plumer la poule sans qu'elle ose crier, ou,
pour parler français, afin de les piller et mener comme il
lui plairait sans qu'ils s'en osent plaindre, condamna
ledit RICQUEBOURG à des châtiments ignominieux, lui seul
juge sans procureur du Roi ni adjoint que ledit Sieur
de CHAUVIGNY son secrétaire, quoiqu'il ait faussement
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mis dans sa sentence (les conclusions du Procureur
du Roi présent sur celles-ci) ainsi qu'on le verra en sadite
sentence pleine de faussetés, qu'on trouvera parmi les
papiers dudit Sr Gouverneur dans l'interrogatoire dudit RICQUEBOURG,
laquelle sentence n'a pas été signée ni exécutée parce que
ledit RICQUEBOURG, se voyant si malmené et menacé, conseillé
par ledit bon soldat Sieur de CHAUVIGNY, consentit à lui signer
une obligation de cinquante écus en argent monnayé que
ledit bon soldat dressa, et ledit RICQUEBOURG la copia et signa,
après quoi il fut encore remis dans le cachot le même
jour à nuit fermée, on lui annonça que ses affaires
allaient bien; le lendemain on l'emmena devant ledit Sieur
Gouverneur, où, à genoux, il lui demanda pardon, et lui dit
par le conseil de Mr de CHAUVIGNY: «Monseigneur, vous
nous avez fait la grâce de nous donner une amnistie générale
de toutes les fautes passées où je crois être compris»;
et il lui fut répondu par ledit Sieur Gouverneur que oui, mais
que c'était pour des crimes particuliers, alors le bon soldat
Sieur de CHAUVIGNY prit la parole et dit au Gouverneur :
«Monsr, vous m'avez promis une chose, c'est celle-ci que je
vous demande », auquel ledit gouverneur répondit: «il est vrai
que je vous ai promis une chose, Monsieur, la voilà, et ne m'en
demandez point d'autres». Le Gouverneur, se tournant ensuite
vers ledit RICQUEBOURG, lui dit qu'il avait de grandes
obligations audit Sr de CHAUVIGNY, et après, ledit bon soldat
dit audit RICQUEBOURB: «Vas-t-en, tu es présentement aussi net
que l'enfant qui vient de naître», comme voulant dire que
cette obligation de cinquante écus qu'il leur avait signée
aussi injustement que violemment, l'avait purgé et
justifié des crimes qu'ils lui imposaient faussement
pour avoir ces 50 écus, et comme le 2 février 1690 il
n'avait encore payé que trente écus des cinquante dont il
leur avait signé une obligation par violence, le Sr BIDON
ayant rencontré ce même jour ledit RICQUEBOURG, il lui
fit lecture d'une lettre de Mr de CHAUVIGNY sous le pouvoir
de Mr de VAUBOULON, qui marquait qu'il ait à finir
de payer promptement lesdits cinquante écus audit BIDON
2.469
crainte de tomber de fièvre en haut mal; ledit RICQUEBOURG
ayant donc payé le reste de ladite somme audit BIDON lui en
demanda un reçu, auquel fut répondu par le Sr BIDON que
Mr de VAUBOULON, Gouverneur, le lui avait défendu et lui avait
fait même une réprimande de ce qu'il avait donné un reçu
de 24 tt qu'il en reçut pour commencer à payer ladite somme,
et ce qui est encore décrit dans ce nouveau contrat
de son habitation qu'on lui a fait prendre par force et chèrement
vendu, on a marqué que tous les ans, il payerait de rentes au
Gouverneur deux cents livres de riz blanc, cent livres de froment
et six-cents livres de coton filé, quoiqu'il n'ait qu'un arpent et demi
de terre valable, ce qui lui est entièrement impossible de payer .
Ce n'est ici qu'un abrégé de la plainte que ledit RICQUEBOURG a
dressée, où l'on verra beaucoup de friponneries, de malices,
d'injustices et de violences dudit Sr Gouverneur.
8- Voyez une histoire qui justifie ledit RICQUEBOURG et fait
connaître qu'il n'était criminel que pour le refus qu'il
fit du commencement de payer les cinquante écus qu'on lui
demandait, un nommé François RIVIÈRE, habitant de St-
Paul, fut averti, à l'instigation de Monsr le Gouverneur, par
un nommé MUSSARD, qu'il ferait fort bien d'aller à St-Denis
demander un contrat de son habitation, qu'autrement il
s'exposait à la perdre. Ledit François RIVIÈRE répondit que
l'ayant achetée et bien payée, qu'il ne voyait pas qu'on lui
la peut ôter, néanmoins ledit MUSSARD le persuada si bien
qu'il partit à ce dessein pour St-Denis, et rencontra dans son
chemin ledit RICQUEBOURG, qui, après voir sorti du cachot
comme ci-dessus, s'en retournait à sa maison, ledit Sr Gouverneur
voyant ce François RIVIÈRE, lui demanda le sujet de son
voyage, à quoi il répondit que MUSSARD lui avait conseillé
d'y venir pour retirer un contrat de son habitation, auquel
ledit Sr gouverneur répondit que MUSSARD était un brave
homme qui entendait bien les affaires, qu'il avait bien fait
de le croire, parce que tous les autres gouverneurs n'avaient
pas le pouvoir de rendre leurs terres héréditaires ni
vendables comme lui, qu'aucun habitant de l'Ile n'avait
le pouvoir de vendre ni acheter des terres parce qu'elles lui
appartenaient toutes, et qu'ayant des contrats de sa main,
2.470
qu'elles deviendraient aliénables et qu'ils en pourraient disposer
comme il leur plairait. Là-dessus, il l'envoya prendre un
contrat de son bon soldat, Sieur de CHAUVIGNY, qui le reçut
avec de grandes caresses, lui fit boire de l'eau-de-vie, et
lui demanda ensuite ce qu'il donnerait pour son habitation,
ils convinrent à la parfin de 22 écus en argent, et comme
il n'en avait pas sur lui, Monsr de CHAUVIGNY dressa une
obligation de 22 écus que celui-ci signa, après quoi ledit
Sr de CHAUVIGNY fit son contrat et y marqua pour rentes
annuelles six-vingts livres de froment, douze volailles
et six livres d'aloès, rentes qui sont comme impossibles
de payer, et en lui donnant ce contrat, lui dit qu'il eût à
payer promptement et prendre garde de faire le fat
comme ledit RICQUEBOURG; quelques jours après que ledit
RIVIÈRE fut de retour à St-Paul, ledit BIDON le somma de la
part de mr de CHAUVIGNY de lui payer les 22 écus qu'il
devait (en vertu de ladite obligation fausse et violentée audit
Sr de CHAUVIGNY), ce qu'il paya audit BIDON en présence de plusieurs
là pr(ésents) et en ayant demandé un reçu, BIDON lui
répondit qu'il avait défense d'en donner à personne.
9- Parce qu'il faisait signer aux habitants des papiers sans leur
en faire lecture, comme entre autres un jour de fête, il leur
présenta un papier à signer, leur disant seulement que c'était
une réponse à la lettre dont Sa Majesté les avait honorés,
et qu'il leur en ferait lecture après la messe, et incontinent
qu'ils eurent signé, leur jeta un autre papier, leur disant:
«signez encore celui-là, après la messe je vous en dirai le contenu»,
mais il ne leur en a jamais plus parlé, on a du depuis ouï
dire qu'en cette dite réponse qu'il a faite au Roi, au nom
des habitants, il le suppliait de leur part de leur envoyer
des soldats pour la garde de l'Ile, pendant qu'ils seraient
occupés à leur labeur, et c'est de quoi ils ne lui ont jamais
parlé ni même pensé, mais bien le contraire; a pareillement
fait signer leurs interrogatoires à ceux qu'il a juridiquement
interrogés sans leur en faire aucune lecture, quoique le
Sr BIDON dise qu'il a toujours lu leurs interrogatoires
aux interrogés, mais que RICQUEBOURG, Henri BROCUS et Pierre
LESUR, qui tous trois ont été interrogés en divers temps,
disent et soutiennnent qu'on ne leur a pas lu leurs interrogatoires
2.471
entre autres rendent ledit BIDON suspect comme on
le verra dans la suite, l'une est un reçu qui me semble faux
qu'il a fait signer à Izaac BEDA, Hollandais, et l'autre qu'il a
dit devant trois ou quatre personnes que si ledit Gouverneur
était mort, qu'il dirait bien des choses; on remarquera que
tous les interrogatoires, sentences, ordonnances dudit Sr Gouverneur
sont en des feuilles volantes, qu'il ne tient point de livres
chiffrés consignés pour son greffe.
10 - Pour avoir pris cinquante écus à deux petites mineures dont
l'habitation avait été vendue à l'encère et achetée cent écus
par Izaac BEDA, Hollandais, deux ou trois ans devant la nomination
dudit Sr Gouverneur à ce gouvernement, et comme leur tuteur refusait
d'en rendre la moitié, disant que les mineures les lui demanderaient,
lorsqu'elles seraient en âge, ledit Sr Gouverneur, ayant un peu
réfléchi, s'avisa d'un tour digne de lui qui fut de faire appeler à St-
Denis ledit Hollandais, auquel il dit qu'il lui voulait faire
rendre par MUSSARD, tuteur desdites mineures, la moitié des cent
écus qu'il avait donnés audit MUSSARD pour l'achat de
l'habitation desdites deux mineures, mais qu'il fallait signer un
reçu audit tuteur, et qu'il entra dans la chambre dudit Sr BIDON,
notaore, pour signer ledit reçu qui avait été fabriqué par la
malice et friponnerie dudit Sr Gouverneur et transcrit par
ledit Sr BIDON notaire, qui sait autnt la pratique que l'enfant
qui vient de naître; cedit Hollandais, marié en cette Ile, croyant
que véritablement on lui allait rendre la moitié des cent écus
qu'il avait payés pour son habitation comme trop chèrement
vendue, le Gouverneur lui disant que le Roi n'entendait
pas qu'on vendît si chèrement les terres, entra dans ladite chambre
où, ne voyant pas lesdits 50 écus, refusa de signer ledit reçu,
ce qui opbligea ledit BIDON d'en avertir ledit Sr Gouverneur, qui se fit
alors compter les 50 écus par MUSSARD, et ledit BIDON,
retournant en sa chambre, dit à ce Hollandais qu'il eût
promptement à signer ledit reçu, puisque MUSSARD comptait
lesdits 50 écus sur la table du Gouverneur, ledit Hollandais,
croyant qu'on les lui donnerait, signa promptement ledit
reçu et s'en courut incontinent à la chambre dudit Sr Gouverneur,
qui, voyant ce Hollandais, se mit à verser cet argent de dessus
sa table de sa main droite en sa gauche, et, éclatant de rire, disait
audit Hollandais: «Ah! Mon enfant! Cet argent t'incommoderait»,
2.472
fourbant ainsi ce pauvre Hollandais, et volant à ces deux
pauvres mineures la moitié de la vente de leur habitation.
Je m'oublie de dire encore que ledit Sr Gouverneur, voyant que
ledit Hollandais refusait de signer le reçu, qu'il n'eût
premièrement touché lesdits 50 écus, le menaça s'il ne le
signait, de surcharger sa terre de tant de rentes qu'il s'enfuir souviendrait.
Copie d'un billet sans date ni signé, écrit de la propre
main dudit Sr Gouverneur à MUSSARD :
« Monsieur, on me demande une garantie contre vous de cent
écus qu'on a payés d'une habitation, c'est le Sr Izaac, je
n'ai rien voulu déterminer sans voir ce que nous pouvons
en rigueur de justice, cela vous fera de l'embarras,
voyez ce que je peux faire là-dessus pour vous obliger»
C'est une friponnerie dudit Sr Gouverneur de dire qu'Izaac BEDA
lui ait jamais demandé ladite garantie ni autre, mais
c'est lui qui a forgé cela de sa tête pour jouer ce beau tour
de gibecière, et afin d'attirer ledit MUSSARD à St-Denis où il
avait aussi fait appeler ledit Izaac, auquel il témoigna,
comme j'ai marqué ci-dessus, que Sa Majesté
n'entendait pas qu'on vendît si chèrement les terres,
c'est pourquoi il l'avait fait appeler pour lui faire rendre
cinquante écus, mais qu'il était juste qu'il en signât
un reçu au pauvre MUSSARD, pour le mettre à couvert
de la recherche que lui en pourraient fire un jour les deux
dites mineures ? comme ci-dessus.
Copie dudit reçu :
Fut présent en sa personne Izaac BEDA, Hollandais,
lequel a reconnu et confessé par-devant moi, notaire,
avoir retiré des mains du Sieur MUSSARD le somme de
cinquante écus faisant moitié de celle de trois cents
livres dont il avait payé l'habitation où il demeurait,
qui avait appartenu au nommé Pierre COLLON, laquelle
somme de cinquante écus Monseigneur de VAUBOULON,
notre Gouverneur a jugé et ordonné lui être restituée
par Mr MUSSARD, ladite habitation lui ayant été
vendue, de laquelle somme il quitte ledit MUSSARD
2.473
soi-disant faire pour les enfants mineurs dudit COLLON
et qu'il ne puisse être recherché, dont il lui a fait
la présente quittance en mon étude à St-denis, Ile de
Bourbon ce deux(ième) jour de mars mil six cent quatre
vingt-dix, où ledit BEDA a signé avec moi, ainsi signé
sur l'original Izaac BEDA et BIDON, notaire royal.
Je laisse à penser à ceux qui liront tout le contenu
du dix(ième) article quel peut être l'homme qui en agit
de la sorte, et s'il n'est pas capable de tout ce qui est
répréhensible.
11- Pour avoir fait emprisonner fort injustement le grand
Jan avec menace de l'y laisser pourrir s'il ne lui rendait
trois cent quinze livres qu'il avait reçues pour la vente
de son habitation et de son petit meuble, laquelle vente
avait été faite plus d'un an devant que ledit gouverneur
fût nommé au gouvernement, et aurait sans doute fait
crever ledit grand Jan dans le cachot, ne l'y nourrissant
que d'eau et de quelques patates, n'était que Mr CALVÉ,
premier lieutenant du vaisseau Les Jeux pria avec tant
d'instance ledit sieur Gouverneur pour son élargissement qu'il
ne le lui osa refuser, de la crainte qu'il avait de passer pour
un tyran et qu'il n'en parlât en France. Il obligea
néanmoins ledit grand Jan à travailler pour lui sept
mois sans aucune récompense, le menaçant de temps en
temps de le remettre dans le cachot et l'y laisser pourrir.
A ce propos, je dirai qu'un habitant appelé Vincent d'EAÜE,
le second chirurgien du vaisseau Le St-Jean échoué,
ayant tous deux bu pintes d'eau-de-vie ensemble
se prirent aux cheveux, et sans autre male fureur tout
incontinent séparés, cela ayant été rapporté audit Sr
Gouverneur, il fit mettre le lendemain ce Vincent d'EAÜE tout
seul au cachot, où il le laissa deux fois 24 heures sans
boire ni manger, quoique ils fussent aussi coupables l'un
que l'autre, et qu'aucun des deux ni autres s'en fussent
pris à lui, on croit qu'il avait pris ce prétexte pour
emprisonner Vincent D'EAÜE et le traiter si
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inhumainement à cause qu'il lui avait demandé le
payement de quelques denrées qu'il lui avait fournies
et demandé un reçu de quelque payement qu'il lui avait
fait, c'était son ordinaire de laisser les personnes au cachot
24 heures sans boire ni manger, et souvent pour des
choses qui n'étaient fautes que dans la malignité du naturel
dudit sieur de VAUBOULON.
12- Pour avoir fait tuer par ses gens, le 17 7bre dernier le
pourceau d'un habitant proche de son habitation, et avoir
cherché d'en tuer d'autres, ce que la femme de cet habitant ayant
su, elle fit enlever son pourceau pendant que les gens
dudit Sieur Gouverneur étaient allés lui en donner avis, pour qu'il
eût à faire préparer du sel et un barreau pour le mettre
et chercher des nègres pour l'apporter; ses gens étant
donc retournés avec les nègres pour enlever cette prise, apprirent
que la maîtresse de ce porc l'avait fait transporter en leur
absence, ce que les fripons ayant rapporté audit Sr Gouverneur,
il en pensa crever de dépit et de honte, et cette femme s'étant
allée plaindre à lui de ce que ses gens avaient tué son
pourceau, il leva la canne sur elle trois ou quatre fois,
et l'ût, croit-on, frappée tant il est brutal, n'était
qu'elle tenait un enfant à la mamelle, mais outre plusieurs
injures, il lui dit comment elle avait été assez hardie de
faire enlever ce pourceau, à quoi ayant répondu qu'elle
croyait qu'il était permis à un chien de prendre son bien
où il le trouve, «non, madame, dit le Gouverneur d'un air
furieux et violent, je prétends que tout ce qui est en cette
Ile m'appartient, et quand j'aurai besoin de cochon,
j'en enverrai prendre de votre part, et ainsi de toutes
autres choses tant à vous qu'aux autres habitants
de mon Ile».
13- Pour avoir, le 17 octobre de la même année que dessus,
maltraité le sieur FIRELIN ( Commis de la compagnie )
dans son magasin y faisant son devoir, menaçant entre
autres de le faire pourrir dans un cachot, et six jours
après l'interrogea juridiquement et violemment
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selon son ordinaire, la porte de sa chambre fermée, les
pistolets sur sa table tout contre lui, avec des menaces
continuelles pendant ledit interrogatoire, lui disant entre
autres choses qu'il n'en était pas au bout, etc, pour
l'épouvanter et troubler en ses réponses.
14- Pour avoir fait, le 29 de c même mois et de la même
année 1690, afficher une ordonnance à la fenêtre de
l'église qui portait six livres d'amende pour la première
fos et punition corporelle pour la seconde à ceux des
ouvriers et audit sieur FIRELIN même qui manqueraient à se
ranger chez eux sur les six heures du soir, sans que
jamais il y ait eu la moindre plainte d'eux, et lui ayant
été dit que cette ordonnance n'était qu'un piège qu'il
leur tendait pour les prendre, ledit Sieur Gouverneur répondit
qu'ils en verraient bien d'autres, et qu'ils n'étaient pas
au bout.
15- Pour avoir fait attacher, le 14 novembre de ladite année
Henry BROCUS au carcan, la corde au col, avec un écriteau
sur la poitrine, et en cet état, fait amende honorable
devant la porte de l'église, et là, à haute voix, demanda
pardon à Dieu, au Roi et à la Justice, la tête nue, les
mains liées et en chemise, et sa femme blâmée, et à aumôner
six livres, et en cas de récidive, tous deux condamnés à
être pendus et étranglés jusqu'à ce que mort s'ensuive,
sans qu'il soit besoin d'autre jugement, et tout ce jugement
inique sur les témoignages d'un petit nègre né le 2e
mai de l'an 1685, et d'une négresse folle et malicieuse, comme
on le verra dans la suite, avec les témoignages signés
des habitants, qui tous deux déposèrent que ledit Henry
BROCUS et sa femme avaient retiré Pierrot le nègre chez eux
deux ou trois jours, et lui avaient offert un pistolet,
du lait et de l'oignon en sa fuite, sans attendre le retour
ou la prise dudit Pierrot pour en savoir la vérité; que ledit
Sieur Gouverneur, se prévalant de la puissance souveraine et
absolue dont il s'est toujours vanté dans ses discours,
dans ses menaces et dans ses lettres, avait condamné
comme dessus ledit Henry BROCUS et sa femme tout ?
2.476
sans Procureur du Roi ni autre juge ou adjoint que le
Sieur BIDON, greffier, qui s'opposa si fort à ce jugement inique
que le Gouverneur se mit en colère contre lui et furent
deux ou trois jours sans se parler pour ce sujet, ledit BIDON
dit encore qu'il ne fut nullement présent ni participant
à la conclusion ni à la lecture de la sentence qui à son défens
fut lue audit Henry BROCUS (par ordre dudit Sr Gouverneur
par LA CITERNE, son serviteur et sergent, que même ledit
BIDON s'enferma dans sa chambre pour ne pas voir
l'exécution de la sentence, quoique Monsr le Gouverneur
l'en eût beaucoup sollicité. J'ai toutefois vu le signe
dudit BIDON au bas de la sentence d'Henry BROCUS, il y a là
dessous quelque mystère que je n'ai encore pu découvrir.
Je m'oubliais de marquer que ladite négresse naquit
l'onzième jour de juillet 1677, ce que j'ai tiré ainsi que l'âge
dudit petit nègre des Registres des baptêmes de cette ile
Bourbon; que pareillement ledit Sr Gouverneur a dit à Monsr
TALHOIT, messieurs LE ROY, BIDON et DES ROCHERS présents:
«il y en a, m'a-t-on rapporté, qui disent que je ne peux pas
juger tout seu», à quoi personne ne répondit. Il faut
encore remarquer que ledit Sieur Gouverneur a condamné,
(comme dit est) ledit BROCUS et sa femme sur les témoignages
dudit petit nègre et de ladite négresse, après avoir refusé,
quinze ou 16 jours auparavant, le témoignage de
Louis Le Nègre, (âgé de 40 ans ou environ et estimé
de tous), en faveur dudit FIRELIN pour le nombre des
coups de bâton que ledit Sieur Gouverneur avait donnés audit
FIRELIN, Louis le Nègre étant pr(ésent) dans ledit magasin
lorsque ledit sr FIRELIN fut frappé par ledit Sr Gouverneur,
ledit Sr Gouverneur disant alors que les nègres n'étaient
pas reçus à des témoignages contre les Blancs, et du vrai,
j'ai ouï dire à tous ceux des habitants qui ont vécu
à Madagascar que Monsr LÉPINAY, auditeur des comptes
à Paris et du depuis fait Procureur du Roi dans
Madagascar, n'y avait jamais voulu recevoir le témoignage
des Nègres contre les Blancs. Je ne puis assez admirer
la manière d'agir dudit Sr Gouverneur, qu'aujourd'hui il
refuse les témoignages d'un nègre âgé de 40 ans et
2.477
estimé de tous, disant que les nègres ne peuvent être reçus
à témoignage contre les Blancs, et que quinze jours après,
il condamne ignominieusement un homme et une femme
sur les témoignages d'un fripon de nègre et d'une malicieuse
négresse, et qui tous deux n'étaient pas en âge de porter
témoignage, comme l'on verra dans la suite, avec les
signes des habitants. Voici l'extrait de baptême du
petit nègre dont Mr de VAUBOULON, gouverneur, a pris le
témoignage contre Henry BROCUS et sa femme.
Extrait des registres de baptêmes de l'ile Bourbon :
Je soussigné certifie avoir baptisé l'enfant mâle
d' Anthoine HAAR et Marie anne SINA sa légitime, auquel on
a donné le nom de Jean, et naquit le 2 mai 1681 ; son
parrain a été Jean BRUN, surnommé Jolicoeur; signé:
F. Bernardin de Quimper cap. Ind.
Je soussigné ai tiré le pr(ésent) extrait
pour servir dans le besoin ce que de raison.
Extrait du baptême de la malicieuse négresse .
Extrait du registre des baptêmes de lIle Bourbon :
Moi, frère Bernardin, capucin Ind. Certifie avoir baptisé le
vingt juillet de l'année 1677, la fille du légitime
mariage d'Eustache MITAF et de Marianne LANNE (?) sa mère,
laquelle naquit l'onzi(ème) du mois et an que dessus, à laquelle
on a donné le nom de Françoise, son parrain et sa marraine
ont été Anthoine CADET et Elizabeth LANNE. Signé :
F. Bernardin, capucin ind.
2.478
Déposition d'Honoré TOUCHARD,fort honnête homme
craignant Dieu, vivant paisiblement avec tout le monde,
duquel personne ne s'est jamais plaint depuis 24 ans
qu'il est en cette Ile de Bourbon, qui a été le premier
Prieur de la Confrérie du Mont Carmel, ici établie
depuis trois ans ou environ, contre ladite malicieuse
négresse d' Henry BROCUS
Mon Révérend Père,
Pour répondre à l'honneur de la vôtre, je vous dirai que
la négresse d'Henry BROCUS qui s'appelle Françoise MITAF
fut rendue toute petite chez moi où elle a demeuré environ
six ans, nonobstant tous les soins que moi et ma femme
avons pris de ? avec douceur dans la crainte de Dieu,
nous y avons toujours apperçu de méchantes inclinations,
surtout elle s'enfuyait du logis si souvent et sans aucun
sujet, qu'elle était absente la moitié du temps, et s'allait
cacher dans les bois et halliers où elle dormait et vivait
de quelques patates ou bananes crues qu'elle dérobait
de côté et d'autre dans le voisinage.
Lors d'une de ses fuites, elle prit le temps que je travaillais
à la Plaine et ma femme dans l'habitation proche la maison,
pour mettre le feu dans mon magasin où étaient mon riz
et toutes mes meilleures hardes, et là tout fut brûlé
et consumé; étant attrapée par un des Noirs de Renaud,
amenée à la maison, et interrogée si quelqu'un l'avait
sollicitée de mettre le feu dans le magasin, elle répondit
que non, et qu'elle l'avait fait deson propre mouvement,
montra même le tison duquel elle s'était servie quelle
avait caché parmi les broussailles proches la maison,
elle pouvait avoir neuf ans ou environ lors de cet incendie.
Déposition de tous les habitants de l'Ile en faveur
d'Athanase TOUCHARD, Français, et d'Henry BROCUS, Hollandais,
et de leurs femmes, contre Françoise MITAF,
négresse qui a demeuré chez eux deux:
Nous, soussignés certifions qu'Athanase TOUCHARD,
Français, et Henry BROCUS, Hollandais, et leurs femmes
2.479
sont fort honnêtes personnes, vivant fort paisiblement
en leurs cases et avec tout le monde, et que Françoise
MITAF, demeurant depuis trois ans ou environ chez Henry
BROCUS, aussi par ci-devant l'espace de six ans ou
environ chez Athanase TOUCHARD, ainsi que ledit Athanase
TOUCHARDI l'a déclaré en sadite déposition, et que depuis
qu'elle est chez ledit Henry BROCUS, elle a aussi été
la plupart du temps en fuite, quoique ledit Henry
BROCUS, croyant l'arrêter, l'eût fait épouser à son Noir,
et nonobstant s'enfuyant toujours comme par le passé,
et sans sujet, son maître et sa maîtresse étant
incapables, tant ils sont bonnes gens, de lui dire ou faire
chose qui lui pût déplaire; elle aimait mieux
vivre vagabonde dans les bois sous le pluies et autres
injures du temps, n'y mangeant que des patates, bananes
et autres vilaines crues qu'elle dérobait de côté et d'autre
dns les habitations, et s'abandonner pendant ses fuites
aux Noirs, ayant cette malice de se mettre dans quelque
broussaille proche les lieux où elle savait que les Noirs
passaient ordinairement, et paraissait à ceux qu'elle voulait,
qui de nuit, lorsque leurs maîtres dormaient, l'allaient
trouver dans les lieux assignés, et lui portaient ce qu'ils
pouvaient dérober chez eux. Moi, Frère Hyacinthe, soussigné,
certifie que depuis treize mois que je suis dans cette
Ile, que je connais que ladite Françoise MITAF, malicieuse
négresse, en a au moins passé neuf en fuite, par cinq ou
six reprises, et ce qui est remarquable, c'est que lorsqu'on
a déposé contre ledit Henry BROCUS et sa femme, ses maîtres
et maîtresse, ce pouvait être par récrimination de ce que
ledit Henry BROCUS son maîttre, elle était
alors en fuite, et amenée audit Sr Gouverneur pour être
châtiée, lequel dit Sieur Gouverneur, qui en voulait audit
Henry BROCUS, puisqu'il l'avait emprisonné par ci-devant
l'avoir pillé, pris son argent, cochons, boeufs,
2.480
jusqu'au chapelet de sa femme, qui pouvait valoir deux
écus, et tout ce mauvais tiraillement pour on habitation
qu'il avait achetée et payée il y avait trois ans
ou plus. Ledit Sr Gouverneur se servit de cette occasion
pour interroger juridiquement la malicieuse
négresse et le petit nègre qui déposèrent contre
ledit Henry BROCUS et sa femme, qui furent tous
deux condamnés sur les dépositions de ladite négresse
et dudit petit nègre comme ci-dessus marqué dans le 15e
article. Et ladite malicieuse fut aussi alors châtiée
de fleur de lys et du fouet par ordre dudit Gouverneur
et eût eu quelque châtiment plus rude à cause de ses
fuites si souvent réitérées, débauchant les Noirs à
fuir avec elle, mais quelques charmes invisibles
à tout autre qu'audit Gouverneur qui a avoué à
quelques-uns avoir trouvé dans les yeux de ladite
négresse l'en sauvèrent pour cette fois, après quoi
étant retournée avec ses maître et maîtresse
en leur case ignominieusement traités à cause d'elle,
elle s'enfuit encore quinze jours après avec son
frère qu'elle débaucha des services de son maître.
Un mois après cette fuite, ils furent tous deux pris
et emmenés à St-Denis d'où elle s'enfuit encore dix
jours après, s'étant on ne sait comment détachée
de ses chaînes, et est encore à présent en fuite dans
la montagne avec quatre Nègres qui ont menacé
de tuer et brûler les cases de ceux qui courront
après eux. Pour ce qui est du susdit petit nègre,
appelé Jean HAAR, qui a aussi déposé contre ledit
BROCUS, comme on peut voir en l'article 15 de cet écrit,
il avait avant sadite déposition déjà fui quatre fois
de chez ledit Sr Gouverneur, et quand il déposa contre
ledit Henry BROCUS, était en fuite de sa cinquième
fuite. Voilà les deux beaux témoignages sur la
2.481
déposition desquels ledit Sieur Gouverneur a condamné
comme ci-devant ledit Henry BROCUS et sa femme.
16- Aurait aussi interrogé juridiquement en présence du Sieur
BIDON, greffier, Pierre LESUR, taillandier de la Compagnie
comme pr(ésent) lorsqu'il frappa le Sieur FIRELIN, Commis
de la Compagnie, lui demandant s'il lui vait vu donner
plus d'un coup au Sieur FIRELIN, et quoi que ledit Pierre LESUR
déposait avoir vu ledit Sieur Gouverneur donner plusieurs
coups audit FIRELIN, néanmoins ledit Sieur Gouverneur dit
à BIDON, greffier, écrit que ledit Pierre LESUR aurait déposé
que le Sieur Gouverneur n'aurait donné qu'un coup audit Sr
FIRELIN, et comme ledit BIDON se mit à regarder le Sr
Gouverneur sans rien écrire, comme lui disant tacitement
que Pierre LESUR déposait autrement qu'il ne lui voulait
faire écrire, ledit Sr Gouverneur dit à BIDON, greffier :
"écrivez ce que je vous dis, que vous êtes toujours un
grand raisonneur" et fit ensuite audit Pierre LESUR
mettre sa marque au bas de son interrogatoire sans
qu'on lui en ait eu auparavant fait lecture.
17- Pour avoir encore le 21 de ce mois, fête de la Présentation
de la Ste Vierge, menacé le Sr FIRELIN de prendre
garde à soi, et que lorsqu'il y penserait le moins son
procès serait fait, aurait aussi envoyé toutes les nuits
son monde armé courir les habitations du Quartier
de St-Denis, qui entrait tout de nuit à l'improviste
dans les cases où ils fouillaient de tous les côtés,
feignant de chercher trois nègres qui étaient
en fuite, quoique ils sussent qu'en cette Ile on ne
donnait aucune entrée aux nègres dedans les cases.
2.482
18- Enfin ce pauvre peuple, voyant que ledit Sr Gouverneur
n'était pas rassasié de l'argent qu'il leur avait pris en
leur faisant acheter leurs terres qu'il avaient
achetées de bon argent et défrichées à la sueur de leurs
fronts, qui depuis 20 ans, qui qui moins, par la
concession des autres Gouverneurs, les avait encore
surchargés de grosses rentes, que, non content de leur
ôter la meilleure partie de la vie en leur défendant l
a chasse, envoyait encore tuer leurs pourceaux qui étaient
le peu qui leur restait pour vivoter et se défendre des
cris aussi importuns qu'affligeants de leurs enfants qui
se sont fort souvent allés coucher sans avoir mangé
qu'une banane ou deux, ou sucé un morceau de
canne de sucre, lui qui avait des boeufs en ses parcs,
qui envoyait tous les jours à la chasse des boeufs
marrons dits sangliers, des cabris, de la tortue, et de tout
le gibier que souhaitait son appétit, qui, outre le riz
et le froment, retirait encore de ce peuple pour rentes
annuelles plus de deux cents volailles, comme dindons,
chapons et poules grasses, et plus de trente gros
cochons, menaçait encore que tout lui appartenait,
et qu'il les enverrait prendre quand il lui plairait,
non content encore de ce que dessus, les menaçait aussi
tous les jours de paroles et d'écrits, du cachot, du carcan,
du fouet et de la corde, menaçant même le commis de la
Compagnie d'écrits et de paroles, de punition corporelle et
que lorsqu'il y penserait le moins son procès lui serait
fait, et, passant des menaces aux effets, frappa ledit Sr
FIRELIN, Commis de la Compagnie, en son magasin y
faisant son devoir, et lui dit selon son ordinaire des
injures indignes de ce qu'il se dit être, condamna
pareillement Henry BROCUS et sa femme à des châtiments
ignominieux ( comme ci-dessus marqués ) sans observer
aucune formalité de Justice, toutes lesquelles dites co
2.483
et autres que les habitations déclareront au Commissaire
qui viendra, aurait jeté une telle épouvante et causé une telle
alarme parmi ce peuple qu'on ne parla que d'abandonner
les cases pour s'enfuir dans les montagnes où, sans doute,
beaucoup d'eux fussent morts de chagrin, de misère et de
maladie, ce qui aurait fourni un prétexte spécieux audit Sr
Gouverneur de piller leurs cases, les brûler, et d'envoyer
tirer sur eux, ou prendre pour les faire pendre selon ses
menaces ordinaires. Moi donc, voyant ces miséreux,
entendant leurs plaintes, leur dessein de s'enfuir, et considérant
les troubles et le désordre que cela causerait aux sujets
de Sa Majesté, et que le mal pressait trop pour lui
en donner avis et en recevoir un prompt soulagement,
vu les guerres avec les voisins et l'éloignement de cette
Ile de la France, et que cette Ile n'a de commerce avec aucune
nation, toutes les raisons, très bien et très mûrement
examinées, j'ai cru qu'il serait à propos de l'arrêter et
mettre au cachot, pour conserver cette Ile au Roi,
que Dieu conserve et bénisse en tout et partout, et pour
aussi mettre leurs biens et nos vies en sûreté de ses
mauvais desseins, de ses violences et des menaces qu'il faisait
continuellement aux habitants de la corde, etc. A ces causes,
j'ordonnai audit Sieur FIRELIN, aux ouvriers et aux
habitants des Quartiers de St-Denis et de Ste-Suzanne de s'en
saisir sur ma parole, et leur marquai le jour et la
manière qu'il fallait tenir en cette entreprise pour
empêcher tout désordre, violence ou effusion de sang de
part et d'autres, ce qui a réussi, ( grâces à Dieu ), ainsi que
je le souhaitais. En foi de quoi j'ai signé la présente
déclaration avec ledit Sieur FIRELIN, les ouvriers et
habitants des Quartiers de St-Denis et de Ste-Suzanne,
et les habitants du Quartier de St-Paul l'ont pareillement
voulu signer de leur plein gré et franche volonté,
2.484
sans en avoir été requis. Nous entendons aussi qu'il
signé des habitants ci-dessous, signées auront valeur
pour les extraits de baptêmes dudit petit nègre et de ladite
négresse, et pour les dépositions d'Athanase TOUCHARD
contre ladite négresse et des habitants en faveur d'Athanase
TOUCHARD et d'Henry BROCUS et de leurs femmes contre ladite
négresse et dudit petit nègre. F. Hyacinthe de Quimper, capucin
missionnaire et curé de l'Ile de Bourbon.
Jacques BARRIÈRE Robert DU HAL FIRELIN
illisible TALHOIT
marque + de Jacques marque de Pierre
MAILLOT +
MARTIN
illisible marque + de Roger ROYER
ANGO
Henry BROCHUST
François M VALLÉE marque + de Jullien ROBERT
marque + A de Marc VIDOT
marque de + Guillaume BOUYER Jan + JULLIEN Jan + LE BRUN
Arzul + GUICHARD
marque + de Jan ARNOULT marque + de Jan PERROT J. LAURET
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