Procès Vaubulon
Assignation des témoins
LELIEPVRE Étiennette, épouse Jacque HERVY
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Etiennette LELIEPVRE Femme de Jacques HERUY
maître charpentier, demeurant au Port-Louis et ci-devant
dans l'Ile de Bourbon, âgée de cinquante ans, laquelle
après serment par elle fait de dire vérité, et qu'elle nous
a dit n'être parente, alliée, servante, ni domestique
des parties, et nous a représenté l'exploit d'assignation
à elle donné ce jour pour déposer en ladite information,
enquise des faits de la plainte dudit procureur du Roi
de laquelle nous lui avons fait lecture :
Dépose qu'elle s'embarqua avec son mari il y aura
huit ans au 3e de mai, pour aller aux Iles de Bourbon
dans le vaisseau nommé Le Petit St Jean où était aussi
le Sieur de VAUBOULON qui s'en allait gouverneur pour
le Roi dans ladite Ile, et le Père hyacinthe de Quimper,
capucin, et qu'elle y a resté avec son mari jusqu'à
l'année dernière 1696; qu'environ dix mois après
que ledit Sieur de VAUBOULON fut arrivé en ladite Ile,
il eut un différend avec le nommé FIRELIN qui était
Commis de la Compagnie des Indes; que ledit FIRELIN
dit à la déposante que ledit Sieur de VAUBOULON lui
avait voulu faire changer les marchandises 'qui
étaient' d'un côté à l'autre, qu'il s'y était opposé
d'un côté à l'autre
du magasin
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et avait relevé le nez deux ou trois fois audit Sieur
de VAUBOULON avec son chapeau; lequel Sieur de
VAUBOULON lui avait donné deux ou trois coups de
canne; et que ledit FIRELIN a dit aussi à la déposante
qu'il était allé trouver le Père Hyacinthe, capucin,
à Ste Suzanne, et se jeter à ses pieds pour le
prier d'avoir pitié de lui, en lui racontant les
mauvais traitements qu'il avait reçus dudit sieur de
VAUOULON; qu'elle ne sait point ce qu'ils complotèrent
ensemble, mais qu'elle a connaissance que depuis le
différend jusqu'à l'emprisonnement du Gouverneur,
FIRELIN alla fort souvent trouver le capucin, et
le capucin envoyait aussi souvent des lettres à
FIRELIN par le nommé Robert DU HALLE; que la
conspiration ayant été faite, s'en revenant un
jour des Butors qui est un petit lieu tout proche
St Denis où elle mangeait, elle rencontra le Père
Capucin et Robert DU HALLE qui allaient ensemble
à St Denis, et ledit Robert DU HALLE ayant quitté
le capucin pour venir à la déposante, lui dit
en ces termes: 'Madame HERUY, vous avez plus d'esprit
que les Créoles, vous vous pouvez douter
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quelque chose, c'est que l'on mettra dimanche le
Gouverneur dans le cachot, mais si vous dites
quelque chose, votre vie est au bout de mon fusil'.
Ce qui fait que la déposante s'en retourna sur ses
pas audit lieu des Butors et y demeura jusques au
dimanche suivant, qu'elle alla à la messe avec son
mari, auquel, étant revenu de son travail le samedi,
au soir, elle dit tout effrayée ce qu'elle avait ouï
dudit Robert DU HALLE; qu'étant dans l'église ledit
jour de dimanche avec son mari, elle vit ledit Sieur
de VAUBOULON y entrer et se mettre à sa place ordinaire, où
étant, le nommé LA ROCHE se jeta sur son épée et la
lui ôta, lui disant de rendre les armes de par le Roi, et
ledit Sieur gouverneur ayant voulu faire résistance, les
nommés Jacques BARRIÈRE dit DES ROCHERS, Robert DU HALLE
et Marc VIDOT se jetèrent sur lui, et ledit DES ROCHERS
tira une corde de sa poche pour attacher ledit Sieur Gouverneur.
Et ledit Marc VIDOT lui dit qu'il lui couperait le col
avec un coutelas nu qu'il avait à la main, s'il
voulait faire résistance; qu'au même instant ledit
Sieur de VAUBOULON cria au Père capucin qui était
à l'autel prêt à dire la messe, et ayant sa chasuble
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en ces termes: 'mon Père! mon Père! sauvez-moi la vie!'
A quoi ledit capucin répliqua qu'il se rendît et
qu'il n'aurait point de mal; et en même temps ôta
sa chasuble et le conduisit au cachot, avec la
populace qui était armée; que ledit FIRELIN était
à la porte de l'église avec deux pistolets, et alla chercher
des fers dans la Maison du Roi pour les mettre aux pieds
du Gouverneur. Ce que la déposante a vu, ayant
sorti de l'église d'où elle fut mise dehors lors du
tumulte et reçut un coup de poing dans le dos;
que ledit gouverneur ayant été mis en prison et aux
fers, le Père capucin et la populace s'en retournèrent
à l'église pour entendre la messe, laquelle fut dite par le Père Capucin
qui fit chanter le Te Deum, sans pouvoir dire
maintenant si ce fut avant ou après la messe, mais
qu'elle est certaine que le Te Deum fut chanté par
l'ordre du Père Capucin et de FIRELIN, et que ledit
FIRELIN fit arborer le pavillon, tirer neuf coups de
canon et crier Vive le Roi en réjouissance de
ce qu'ils venaient de faire, qu'ils furent ensuite dîner
à la Maison du Roi où était la déposante, et ledit
FIRELIN, la voyant triste à table, lui en demanda
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le sujet: lui dit qu'elle ne devait pas s'attrister,
puisque leur ennemi était mort et qu'il ne leur ferait
plus de mal; à quoi elle répondit que ledit Sieur de
VAUBOULON n'était point son ennemi; et ledit FIRELIN
se mit à rire; que le Père Capucin était présent et qu'ils
burent pendant deux ou trois heures; et que ledit Père
capucin fut environ deux mois après établir ledit FIRELIN
Commandant de l'Ile, disant au peuple qu'ils ne pourraient
pas mieux faire puisque il était commis et proposé pour
les affaires de la Compagnie des Indes.; que ledit FIRELIN
a commandé dans l'Ile environ deux ou trois ans où
il s'est très mal gouverné, maltraitant les habitants en
toutes sortes de manières et de paroles et de coups, étant
devenu insupportable par sa superbe, donnant aux uns
des coups de sabre et aux autres des coups de canne;
ce qui fit que le Sieur DEPRADE, capitaine sur le vaisseau
Les Jeux ayant mouillé à l'Ile, emmena ledit FIRELIN
à Surate et LE ROY, chirurgien de l'Ile, soit qu'il
voulût l'ôter de la Commission pour la Compagnie ou
qu'il voulût s'assurer de sa personne, à cause qu'il
apprit la mort du Gouverneur; que ledit LE ROY fut
tué dans le passage avec ledit Sieur DEPRADE dans un
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combat, et que ledit FIRELIN demeura à Surate environ
deux ans, pendant lequel temps les habitants de l'Ile n'avaient
point de Commandant, ledit Sieur DEPRADE en ayant seulement
nommé six pour donner les ordres nécessaires; que ledit
Gouverneur fut vingt et deux mois en prison, pendant
lequel temps FIRELIN, ledit LE ROY chirurgien et
Jean BIDON qui avait été domestique du Sieur de VAUBOULON
lui faisaient mille infamies, lui jetant leurs ordures
par la fenêtre du cachot; que ledit GOUVERNEUR mourut
après 22 mois de prison, et, croit le témoin, qu'il a été
empoisonné par ledit LE ROY chirurgien, de l'ordre dudit
FIRELIN, l'ayant ouï dire aux habitants, et que ce qui
lui donna encore lieu de le croire, c'est que le Sieur
TALOËT, un des habitants, ayant voulu faire ouvrir
ledit Gouverneur après son décès, ledit FIRELIN et LE ROY
s'y opposèrent et que le cadavre fut enterré sans
cérémonie, et, remarqua la déposante, que ses ongles
étaient violets, l'estomac aussi; que deux ou trois
mois avant la mort du Gouverneur, ledit FIRELIN fit
arrêter le nommé LA CITERNE son valet de chambre
et le fit mettre au cachot et aux fers; et ensuite
lui fit casser la tête un premier jour de mai, ayant
convoqué tous les habitants de l'Ile pour le juger,
et a ouï dire qu'il n'avait d'autre raison que po ?.
Onzième page M. CHEREIL
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un Portugais lui avait dit que ledit LA CITERNE voulait
délivrer son maître, et qu'après, ledit Gouverneur ferait
casser la tête audit FIRELIN et au Père et au Frère
capucin et aux autres habitants qui l'avaient arrêté,
qu'elle, déposante, fut envoyée aux arrêts à Ste Marie, à
trois lieues de Ste Denis, deux jours après l'emprisonnement
dudit LA CITERNE, par l'ordre du Père capucin et de FIRELIN
qui la soupçonnaient d'être du parti du Gouverneur,
et qu'elle y a été jusqu'au jour de la mort dudit
Gouverneur, laquelle ayant appris, elle s'en revint
à St Denis le même jour; que le 14e juin 1693, autant
qu'elle se peut souvenir après la mort du Gouverneur,
la déposante allant pour dîner dans la Maison du Roi
avec ledit FIRELIN, LE ROY et BIDON, elle entendit lesdits
trois particuliers dire ces mots: «Il faut donner un
bouillon à cette bougresse comme à l'autre», et ayant
ouvert à l'instant la porte, ils furent tout surpris
de la voir et se mirent à rire. Ce qui fit qu'elle ne
voulut plus manger avec eux, crainte d'être
empoisonnée ; dit aussi qu'après la mort du Gouverneur,
FIRELIN et BIDON épousèrent les deux sœurs, filles de
ROYER, habitant de l'Ile, et a ouï dire audit BIDON
que s'il n'était pas marié à la fille dudit ROYER,
Douzième page M. CHEREIL
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ils le feraient pendre, quelques-uns touchant la mort
du Gouverneur, que le Sieur de SERTIGNÉ, capitaine de
vaisseau s'en revenant de Surate, a ramené ledit FIRELIN,
et, passant à l'Ile de Bourbon avec une escadre de vaisseaux,
a fait arrêter l'été dernier lesdits LA ROCHE, BARRIÈRE
et VIDOT et Robert DU HALLE, lesquels sachant qu'on
les cherchait, s'étaient enfuis dans les bois, et y furent
arrêtés, et obligea aussi le Père Hyacinthe capucin
à s'embarquer, lui disant: 'Mon Père, il faut revenir
en France', qu'il mit le Père capucin et DES ROCHERS
dans le Medemblick , FIRELIN et Robert DU HALLE dans
le Florissant, LA ROCHE dans le Faucon, et VIDOT dans
son vaisseau, que Henri HOUAREAU et Pierre LAUNAY
natifs de ladite Ile de Bourbon, qui ont aussi passé en
France dans l'escadre dudit Sieur de SERTIGNY, peuvent
déposer des faits, et croit qu'ils ont été entendus par
devant le Prévôt de la Marine au port de Lorient,
mais qu'ils ne sont pas maintenant au Port-Louis,
et a ouï dire qu'ils sont à Rochefort, et est ce qu'elle
a dit savoir.
Lecture a été faite de sa déposition
A dit celle-ci contenir vérité, y a persisté et a signé
Tiennette LELIEVRE
P. CAILLEAU
Greffier
M. CHEREIL
Treizième page
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