Procès Vaubulon
Interrogatoire de Michel FIRELIN
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8e mars 1697
Interrogation faite à Michel FIRLIN, Commis de la
Compagnie des Indes à MASCARIN, détenu prisonnier à la Citadelle du Port-Louis,
par nous prévôt de la marine, en exécution des ordres de Mr de MAUCLERC
Intendant de la marine audit Port Louis
Du huitième mars 1697
Son serment pris de dire vérité lequel a juré et promis faire,
interrogé de son nom, âge qualité et demeure,
Répond avoir nom Michel FIRLIN natif de la ville de Montivilliers
en haute Normandie, commis pour la Compagnie des Indes en L'Isle de Bourbon, âgé d'environ trente ans.
Interrogé dans quel temps il partit de France pour aller à L'Isle de Bourbon,
prendre possession de son emploi avec qui et dans quel temps il arriva dans ladite Isle,
Répond qu'il partit dans le Vaisseau le 'St Jean' appartenant à MM de la
Compagnie des Indes commandé par le Sieur DUBOIS du Port-Louis
le cinquième de mai 1689 de dessous l'Isle de Groix pour faire route
à ladite Isle de Bourbon, où ils arrivèrent le quatrième Décembre en suivant.
Interrogé qui passa avec lui dans ledit Vaisseau et si M. de VAUBOULON que
le roi y envoyait pour gouverneur et le père Hyacinthe capucin pour
aumônier ne passèrent pas avec lui
A répondu qu'oui et qu'il passa aussi des ouvriers pour la Compagnie.
Interrogé s'il n'est pas vrai qu'environ dix mois après qu'ils furent
arrivés dans ladite Isle le gouverneur ayant pris possession de son
gouvernement et lui de son emploi il eut des démêlés avec ledit
gouverneur au sujet des quelque marchandises que le gouverneur
voulait faire ranger dans le magasin d'un côté à l'autre à quoi
il s'opposa ayant relevé le nez du gouverneur avec son chapeau
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ce qui fut cause que le gouverneur lui donna deux ou trois coups de
canne.
Répond qu'il n'a eu aucun démêlé avec ledit Sieur Gouverneur mais
que tous dans le magasin de la Compagnie avec le nommé Pierre HERUY
forgeron travaillant pour ladite Compagnie, avaient rangé toutes leurs
marchandises dans le magasin chacune en son particulier, ledit
Sieur Gouverneur y étant survenu fit renverser toutes lesdites
marchandises les unes sur les autres, ce qui obligea ledit interrogé de
lui remontrer bien honnêtement que ce qu'il en faisait était pour une
plus grande commodité et facilité à trouver les marchandises chacune
dans leurs espèces lorsque l'on en aurait besoin et que de la manière
qu'il faisait il donnerait beaucoup de peine à l'interrogé n'ayant personne
pour le servir et pour remuer toutes ces marchandises, sur quoi ledit
Sieur Gouverneur le traita du haut en bas, disant qu'il ne prétendait
pas qu'il contredît à ses volontés et qu'il fallait qu'il apprît à vouloir
tout ce qu'il voudrait en lui disant plusieurs paroles injurieuses
et le frappant de trois coups de canne, avec des menaces de le faire punir
dans un cachot, sur quoi ledit FIRLIN se retira et n'a jamais eu la
pensée de lui relever le nez avec son chapeau ni lui faire aucune
insulte.
Interrogé s'il n'est pas vrai qu'après qu'il eut eu les démêlés avec ledit
Sieur Gouverneur, il s'en alla trouver le nommé Jacques HERUY. Charpentier
engagé par la Compagnie et lui dit qu'il s'en allait à Ste Suzanne
distant de quatre lieues du magasin pour y trouver le Père Hyacinthe,
capucin, pour se plaindre des insultes que le Gouverneur lui avait faites,
et défendit à Jacques HERUY de dire où il était allé, d'où il venait trois
ou quatre jours après, ou même le Gouverneur voulut lui faire
par lequel il s'en était allé sans la permission et que lui, interrogé, resta
quelque temps à St Denis, pendant lequel temps il envoyait souvent
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des lettres au Père Hyacinthe, et le Père Hyacinthe lui envoyait réponses par le
nommé Robert du Halle et que ces messages n'étaient que pour
conspirer contre le Gouverneur, que même le jour qu'il fut arrêté,
ledit Interrogé étant dans son magasin, appela ledit HERUY qui passait par
-devant la porte, et lui dit d'entrer dans sa chambre où
il lui présenta un coup d'eau-de-vie et lui demanda ensuite s'il
savait ce qui se passait, à quoi ledit HERUY répondit que non.
Ledit Interrogé lui redemanda encore par deux ou trois fois , en voyant
qu'il n'en savait rien, ledit Interrogé lui dit que le Gouverneur devait
être mis au cachot ce jourd'hui. Ledit HERUY lui répondit
qu'il prît bien garde à ce qu'il faisait, parce que le Gouverneur représentait
la personne du Roi dans l'Isle. Ce que voyant, ledit Interrogé lui dit
de prendre sa canne et de s'en aller boire sa part d'un pot d'eau-de-vie
qu'il avait envoyé à ses camarades, et lui défendit de passer par-devant
le magasin. Lui dit d'aller à la messe et de laisser faire les autres, et de ne se mêler de rien.
A répondu qu'il n'avait aucune connaissance d'avoir vu ledit charpentier
nommé HERUY mais qu'il est bien vrai qu'il s'en fut au Quartier de Ste
Suzanne pour ? éviter la fureur et les violences dudit Sieur Gouverneur qui
l'avait menacé de le faire mettre à pourrir dans un cachot et qu'étant
arrivé au Quartier de Ste Suzanne, il s'en fut voir le Père Hyacinthe,
capucin, ne connaissant encore personne dans le quartier, et lui raconta
véritablement ce que le Sieur Gouverneur lui avait fait, sur quoi ledit
Père Hyacinthe lui dit qu'il irait avec lui à St Denis pour parler audit
Sieur Gouverneur, et tâcher d'apaiser sa colère. Le lendemain, ledit Sieur Gouverneur
envoya une lettre au Sieur Roger, capitaine du Quartier de Ste Suzanne par Paul
Désiré par laquelle il lui marquait d'avertir ledit Interrogé de s'en
retourner au plus tôt à St Denis et que s'il faisait refus de le faire
amener par force, sur quoi ledit Interrogé obéit et s'en
retourna le lendemain,
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avec le Père Hyacinthe, et étant arrivé audit St Denis le Père
Hyacinthe fut trouver le Gouverneur pour faire en sorte de les accommoder
et lui remontrer que ledit Interrogé s'en était allé audit Ste Suzanne pour
éviter la fureur de sa colère, sur quoi, ledit gouverneur lui dit de dire
audit Interrogé de s'en retourner dans son magasin et de lui venir
parler, à quoi ledit Interrogé obéit, et après l'avoir été trouver et lui
avoir dit ses raisons, ledit Gouverneur le renvoya dans son
magasin où il a toujours resté du depuis. Et que s'il a besoin
de quelques lettres au Père Hyacinthe et que le Père Hyacinthe lui en ait
écrit, ça a été sans aucune conséquence, n'ayant jamais
songé à aucune conspiration contre ledit gouverneur, et qu'il n'a
en aucune façon parlé audit HERUY touchant l'emprisonnement dudit
Gouverneur, bien au contraire, que ledit HERUY ne devait pas ignorer
la prise dudit Sieur gouverneur, puisque sa femme s'en vantait plusieurs
fois, qu'elle le savait quatre ou cinq jours avant qu'on l'eût averti
et qu'on les arrête et qu'outre cela ledit Interrogé ne fait aucun doute que ledit HERUY
ne fut averti du Père Hyacinthe de ce qui se passait, lui ayant été
plusieurs fois faire plaintes avec les autres ouvriers parce que
ledit Gouverneur ne les traitait pas comme ils désiraient et que
si ledit Interrogé a reçu quelque maltraitement ? dudit Sieur Gouverneur,
que pour lui avoir été représenter les plaintes dudit HERUY et des autres
ouvriers, ainsi qu'il le fera voir par deux requêtes que lesdits ouvriers lui ont
présentées, et qu'il soutient que le sujet pour lequel ledit Gouverneur a été
arrêté n'est autre chose que la mauvaise intelligence qui fut entre lui
et le Père Hyacinthe depuis le départ de France joint aux vexations et
mauvais traitements qu'il fut fait aux habitants comme il se peut voir
par le procès-verbal d'emprisonnement, par les déclarations qu'ont
faites tous les habitants par plusieurs lettres et écrits du Père Hyacinthe
ainsi qu'il fera voir lorsqu'il en sera requis et qu'il ne s'est point
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mêlé de la conspiration en aucune manière et qu'il n'y a eu que le Père
Hyacinthe et les habitants qui l'ont faite.
Interrogé s'il n'est pas vrai qu'il était présent lorsque la résolution
fut prise d'emprisonner le Gouverneur et que l'on nomma le jour que la
chose se devait faire,
A répondu que le Père Hyacinthe était venu de St Paul à St Denis,
Ledit Interrogé le fut saluer comme à l'ordinaire et que l'ayant fait savoir
auprès de lui, il l'entretint de plusieurs affaires nouvelles que faisait
tous les jours ledit Gouverneur en suite de quoi ils furent trouver les
habitants nommés Robert du HALLE, Jacques MAILLOT, et Jacques
BARRIÈRE dit des Roches, lesquels saluèrent ledit Père Hyacinthe et
s'étant entretenus quelque temps sur tout ce que faisait tous les jours ledit
Sieur Gouverneur, il y eut ledit Robert du HALLE qui dit que c'en était trop
souffrir et qu'il fallait arrêter ledit Sieur Gouverneur, sur quoi ledit Père Hyacinthe
lui dit d'aller avertir les habitants de Ste Suzanne avec
qui auparavant il était convenu, ce que ledit Du HALLE fit, en suite de
quoi ledit Interrogé dit au Père Hyacinthe qu'il ne se mêlait point de cela
et qu'il avait bien du risque, à quoi ledit Père Hyacinthe lui dit qu'il
ne voulait pas aussi qu'il s'en mêlât et qu'il répondait du tout, en suite
de quoi ledit Interrogé se retira, et le dimanche en suite les habitants
de Ste Suzanne vinrent arrêter ledit Gouverneur en la manière
que le Père Hyacinthe leur avait prescrit.
Interrogé s'il ne sait pas combien il y avait de temps que la chose
se tramait, qui étaient ceux qui se trouvèrent à l'assemblée, chez qui elle
se tint et en quel lieu on délibéra d'arrêter ledit gouverneur et quel
ordre on suivit pour cela,
A répondu que non, et qu'il n'a su et vu que ce qu'il a dit ci-dessus.
Interrogé s'il ne sait pas qui portait une corde pour
lier ledit Gouverneur, celui qui se jeta sur son épée et
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en un mot tous ceux qui devaient se jeter sur lui et qui le fit
conduire en prison,
A répondu qu'il ne le sait pas parce qu'il était dans son magasin
dans le temps que l'on arrêta ledit Gouverneur, mais qu'ayant
entendu du bruit, il sortit et vit le Père Hyacinthe qui marchait tenant
un bâton à sa main, et ensuite ledit Sieur Gouverneur saisi par les nommés
La Roche et Robert du Halle, dit Rocher et Marc VIDOT et le nommé
Augustin PANON menuisier engagé par la Compagnie qui portait l'épée
nue dudit Gouverneur à la main, marchant devant lui, et ensuite
tous les autres habitants qui le conduisirent dans la cour du
où il était l'Interrogé, les ayant suivis, avoir vu ledit Père capucin
fouiller ledit Gouverneur et lui ôta ce qu'il pouvait avoir dans
ses poches et le fit mettre dans le cachot, et ensuite fut dire la messe,
et après la messe fut chanté le Te Deum, fit tirer sept coups de canon
arborer le pavillon, et crier «Vive le Roi» en réjouissance de
ce qu'il venait de faire dudit Gouverneur.
Interrogé s'il n'est pas vrai que lorsque l'on arrêta ledit Sieur Gouverneur
il sortit de son magasin, l'épée au côté, et deux pistolets à la ceinture
en disant «Le premier qui s'opposera, je lui casserai la tête» et que lorsque
ledit Gouverneur fut mis dans la prison ce fut à lui que l'on donna les clés du cachot,
A répondu qu'il est vrai qu'il sortit de son magasin, l'épée au côté,
parce qu'il allait à la messe, qu'il n'avait point de pistolet à la ceinture,
qu'il n'a point dit qu'il casserait la tête à personne et n'a point eu la clé
du cachot, mais que c'est le Père qui s'en saisit et la mit dans sa poche.
Interrogé quel traitement l'on a fait audit Sieur Gouverneur pendant qu'il
a été emmené dans ledit cachot
A répondu qu'il a vu porter les matelas dudit Sieur Gouverneur dans son
Cachot avec les draps, couvertures et robe de chambre, et qu'on lui changeait
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de linge quand il en demandait, et qu'à l'égard du boire et manger, l'on le servait
le premier des viandes qui se servaient sur les tables.
Interrogé de quelle maladie est mort ledit Sieur Gouverneur dans le cachot
et s'il n'est pas vrai que le nommé Nicolas LE ROY son chirurgien l'avait
empoisonné, et ce qui fait croire que ledit Sieur gouverneur a été empoisonné,
c'est que le Sieur TALHOUET habitant de ladite Ile voulait le faire ouvrir,
que lui Interrogé et ledit LE ROY s'y opposèrent et ne le voulurent
pas faire,
A répondu qu'il a connaissance que ledit Sieur Gouverneur fut huit
à dix jours malade, après lesquels il mourut, et qu'il n'eut aucune
connaissance qu'il ait été empoisonné, et que ledit LE ROY ayant
préparé tous les instruments pour faire l'ouverture du corps, les habitants
ne le voulurent pas, disant que cela en était trop infecté et que de plus
ils n'y connaissaient rien, en suite de quoi il fut enterré, et ledit Interrogé
ayant écrit au Père Hyacinthe à St Paul pour l'informer de la mort
dudit Sieur Gouverneur et le venir enterrer, ledit Père Hyacinthe lui fit réponse
qu'il le pouvait enterrer lui-même ou le faire enterrer, lui marquant
que «Telle vie, telle mort», c'est-à-dire qu'il ne voulait pas venir.
Interrogé s'il n'est pas vrai que pour l'emprisonnement dudit Sieur de
VAUBOULON, ledit Père Hyacinthe fit assembler les habitants pour le faire
recevoir commandant à la place dudit Sieur de VAUBOULON, et que plusieurs signèrent
la délibération, et que ledit Père fit signer les habitants de St Paul qui ne le
voulurent point par force.
A répondu qu'environ quatre ou cinq mois après l'emprisonnement
dudit Sieur de VAUBOULON, le Père Hyacinthe fit assembler les habitants de St
Denis dans le logis où il leur représenta qu'il ne pouvait pas agir en
qualité de commandant, vu que son caractère et son âge ne lui permettaient
pas, mais qu'ils pouvaient reconnaître ledit Interrogé pour commandant,
vu qu'il était résident sur les lieux pour les affaires de la Compagnie,
à quoi les habitants conclurent et lui signèrent une délibération par
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laquelle ils le reconnaissaient pour Commandant de ladite Ile jusqu'à nouvel
ordre de France, ce que ledit Interrogé accepta, ledit Père Hyacinthe lui ayant
fait connaître que ce serait pour le service du Roi, et que même il en sera
récompensé, qu'ensuite il porta ladite délibération aux habitants de St
Paul, qu'il rapporta signée, et ne sait l'Interrogé s'il usa de violence
envers les habitants de St Paul pour ce sujet ou non.
Interrogé s'il n'est pas vrai que lorsqu'il fut commandant de ladite
Ile, il envoya de concert avec ledit Père Hyacinthe, capucin, le nommé
LA CITERNE, valet de chambre dudit Gouverneur, à Ste Suzanne avec
défense audit LA CITERNE de venir à St Denis sous peine de la vie,
et que quelque temps après, il le fit revenir à St Denis où étant ils
supposèrent que ledit LA CITERNE avait concerté de sauver ledit Sieur
gouverneur son maître, et qu'ensuite l'ayant sauvé, il ferait casser
la tête au Père et Frère capucin et audit Interrogé, ce qui fit que ledit
Interrogé et le Père Capucin firent arrêter LA CITERNE, le firent
mettre dans un cachot, les fers aux pieds, et ensuite firent assembler
les habitants de St Denis, et en firent élire neuf pour juger et condamner
ledit LA CITERNE, ce que les habitants auraient d'abord refusé, mais
le Père Hyacinthe et ledit Interrogé s'emportèrent contre eux, les menacèrent, leur
disant qu'ils étaient des ignorants, et qu'il fallait absolument qu'ils le
jugeassent, ce qu'ils firent, s'y voyant ainsi obligés, et le condamnèrent
à avoir la tête cassée, sans que le Père capucin eût voulu qu'on lui
eût fait aucune grâce, lui ayant fait, aussitôt que le jugement fut rendu,
amener devant la porte de la maison, où ils le firent attacher avec ?
et le firent exécuter sans lui faire aucune remontrance et lui faire
dire aucune prière.
A répondu que, lorsque ledit LA CITERNE fut envoyé à Ste Suzanne
par le Père Hyacinthe, il n'était point encore reçu commandant de ladite
Ile, et qu'il ne s'? là aucunement, et que quelque temps après, ledit
LA CITERNE demanda permission audit Père Hyacinthe de venir
à St Denis
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pour quelques affaires, sur quoi ledit Père Hyacinthe lui fit réponse par une
lettre qu'il lui écrivit de se tenir à Ste Suzanne et de ne point venir à
St Denis, parce qu'il ne pouvait pénétrer, s'empresser d'aller voir son
cher maître au cachot, ce qu'il lui pouvait faire, et que quelque
temps ensuite ledit Père Hyacinthe, étant au Quartier de Ste Suzanne
trouva auparavant que LA CITERNE ne menait pas une bonne vie, sur quoi
il jugea à propos de le renvoyer demeurer à St Denis par une lettre qu'il
lui écrivit, lesquelles lettres ledit Interrogé produira quand il en
sera requis, en suite de cela ledit Père Hyacinthe ordonna audit Interrogé
de recevoir ledit LA CITERNE au logis de St Denis, et de lui dire d'avoir soin
de son maître dans la prison, en lui défendant de prendre garde de ne
se pas laisser séduire par son dit maître, à faire aucun mal, et de ne se mêler
d'aucune chose ; et que quelque temps après, ledit LA CITERNE n'ayant pu
s'empêcher de suivre ? les avis dudit Sieur de VAUBOULON qui étaient de faire
assassiner le Père et Frère capucin et ledit Interrogé, ce qu'ayant été
découvert par Manuel de MATTE, portugais et cordonnier dudit Sieur Gouverneur,
ledit LA CITERNE fut arrêté et mis dans le cachot, les fers aux pieds,
en suite de quoi ledit Père Hyacinthe ayant fait assembler tous
les habitants de l'Ile, leur communiqua l'affaire, et leur demanda
justice, sur quoi lesdits habitants interrogèrent ledit LA CITERNE et jugèrent
à propos de le condamner à rester dans la prison, les fers aux pieds,
jusqu'à l'arrivée de quelque vaisseau, de quoi le Père Hyacinthe ne fut
pas content, et les fit rassembler quatre ou cinq mois après, pour
en informer plus amplement, disant qu'il prétendait absolument qu'on
lui fît justice, et qu'il ne se trouvait pas en sûreté de sa vie, ce qui fit que
les habitants recommencèrent de nouveau à interroger ledit LA CITERNE ,
en suite de quoi lui donnèrent la question avec les mèches allumées, ce que
n'ayant pu souffrir, il avoua ce dont il était accusé, ensuite ledit
LA CITERNE entra dans la chambre dudit Interrogé avec permission des habitants
où étant, il le pria de faire en sorte auprès du Père Hyacinthe de lui
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sauver la vie et de lui faire la grâce de le garder jusqu'à l'arrivée de quelque
vaisseau, sur quoi ledit Interrogé fut trouver le Père Hyacinthe, accompagné
dudit Emanuel de Matte, et l'ayant trouvé dans les chemins qui venait
au logis pour voir si les habitants l'avaient condamné, il lui
représenta les raisons dudit LA CITERNE, le priant de le laisser en
prison jusqu'à l'arrivée de quelque vaisseau, et de tâcher de lui sauver
la vie, sur quoi ledit Père Hyacinthe s'emporta de telle manière que
sa barbe est devenue toute droite, demandant audit Interrogé s'il voulait
répondre de sa vie, et s'il voulait empêcher de faire la justice, avec
plusieurs autres raisons de même, à quoi ledit Interrogé lui répondit
de faire comme il lui plaisait; ensuite le Père s'en alla
du Roi où les habitants s'étaient rassemblés, et leur demanda ce
qu'ils avaient résolu. Les habitants lui répondirent que ledit
LA CITERNE avait tout avoué, mais qu'ils n'étaient pas capables de
condamner un homme à la mort, et qu'il valait mieux le garder en
prison jusqu'à l'arrivée de quelque vaisseau. Là-dessus, ledit Père
s'emporta contre les habitants, les traitant de bougres et de
misérables et de toutes sortes d'injures indignes de son caractère,
disant de plus qu'il allait l'envoyer chez lui et qu'ils répondraient
de sa vie outre plus leur fit voir un article dans un livre de
Coutumes Françaises qui disait que tous les hommes qui étaient connivents
d'assassinat quoique ils ne l'eussent pas effectué méritaient la mort, ce qui fit
que le nommé LA ROCHE donna le premier son avis, le condamnant à
être passé par les armes, et tous les autres habitants le suivirent
conclurent son jugement qui fut exécuté après que le Père
Hyacinthe l'eut confessé, après quoi lui-même le conduisit et le fit
attacher au poteau où il lui fit casser la tête par ceux qui l'avaient
jugé, en suite de quoi il le fit enterrer, et qu'eu l'égard dudit Interrogé
il ne fusse point mêlé et même a fait tout ce qu'il a pu pour lui
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sauver la vie. Que, loin de s'être prévalu de son commandement et
s'être mêlé de toutes ces affaires, et par dessus tout de l'emprisonnement
dudit Gouverneur, que de la mort dudit LA CITERNE, il a plusieurs fois voulu
s'en démettre, ayant signifié aux habitants de s'assembler et d'en élire
un autre, ne voulant plus y rester, voyant tous les désordres qui
se commirent journellement, sur quoi ledit Père HYACINTHE lui écrivit
une lettre de réprimande qu'il a eue entre les mains, et défendit aux dits
habitants de s'assembler pour faire un autre commandant, voulant
que ledit Interrogé restât, leur faisant entendre qu'il n'en fallait
plus faire d'autres, ce pendant quelques années. Ensuite voyant que
l'Interrogé ne voulait pas correspondre à faire tout ce qu'il voulait, ledit
Père HYACINTHE se mit à la tête de tous les habitants avec des
pistolets à sa ceinture et un gargoussier, assiéger et investir le logis
où était ledit Interrogé, où il fut pendant trois jours avec sept à huit
personnes qui étaient avec lui dans ledit logis; ce qui obligea ledit
Interrogé de se rendre à lui, et lui ayant promis par écrit qu'ils ne
lui feraient aucun mal ni insultes, non plus qu'à ceux qui étaient
avec lui, ils ne souffrirent pas de mettre l'Interrogé au cachot et les autres
en prison, et lui ôtèrent tous les papiers et la démission de son
commandement, le firent rester huit jours au cachot, et leur ayant
demandé pour quelles raisons ils le mettaient au cachot, ils lui répondirent
qu'ils y avaient bien mis un Gouverneur du Roi, et qu'ils pouvaient bien
lui mettre, qu'environ cinq ou six mois après ledit Interrogé ayant
été arrêté, que l'on avait fait une cabale pour les venir détruire
entièrement et les faire assassiner, ledit Interrogé et ses camarades
furent obligés de s'en aller dans les bois et de se retrancher pour éviter
le désordre qui aurait pu arriver si on les avait attaqués, ledit Père
Hyacinthe étant toujours à la tête de ses habitants qui le poursuivirent
pendant huit jours, ledit Père les menaçant que s'ils se défendirent
et qu'il y eût quelques-uns de son parti blessés, qu'il ferait égorger
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les femmes, tant dudit Interrogé que de ses camarades, et qu'il ferait
jeter les enfants en l'air et les recevoir au bout de leurs sagaies et
sabres, et voyant qu'il ne pouvait pas forcer leurs retranchement,
il fit dans leurs quartiers, et au bout de huit à dix jours
le vaisseau de la Compagnie Les Jeux arriva à ladite Ile, qui les délivra
de la captivité où ils étaient, ledit Interrogé étant embarqué
pour aller aux Indes et ensuite pour passer en France, ce qu'il a
fait dans le vaisseau Le Florissant.
Et sont les interrogatoires, confessions et dénégations, lesquelles
lui levés de mot à autres, il affirme véritable et a signé ainsi
signé FIRLIN, DE MERVILLE de Lorient
Collationné par nous
Prévôt de la Marine au Port Louis ce
12 mars 1697
DE MERVILLE
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