M. JOSEPH CAILLAUX
Il parait que le duc Decazes, ami d'enfance de M. Joseph Caillaux, disait un jour à son ami, qui venait d'être élu chef du Parti radical et radical-socialiste : "Comment pouvez-vous avoir des idées pareilles ! " -" Mon père, répondit celui-ci, m'a dit à son lit de mort : J'ai perdu ma vie avec les Conservateurs, ne va jamais avec ces gens-là. Je l'ai écouté." Et voilà comment M. Caillaux devint transfuge. Toutes les qualités de son père avec un peu plus de républicanisme, une intelligence remarquable, un financier de premier ordre, M. Joseph Caillaux jouissait de cette réputation quand M. Clémenceau lui offrit au Ministère des Finances la succession de M. Poincaré. Il avait détenu ce portefeuille dans le cabinet Waldeck-Rousseau, et ce fut là l'origine de sa fortune politique. En 1911, M. Monis lui confiait à nouveau ce portefeuille. Le 26 juin de la même année il était Président du Conseil et Ministre de l'intérieur. C'était l'époque des heures sombres d'Agadir. En un ouvrage que tous les Français ont lu, M. Joseph Caillaux conte comment, grâce à quelques concessions territoriales au Congo, il évita la terrible catastrophe. MM. Messimy et Delcassé détenaient les portefeuilles de la Défense nationale et leur avis, je crois, à ce moment, fut que la partie ne devait pas être engagée. Secondé par M. Jules Cambon, notre ambassadeur à Berlin, M. Caillaux tenta l'impossible pour sauvegarder l'amour-propre national et éviter la guerre. Qui le lui reprochera? Sa campagne de conférences pour l'impôt sur le revenu, alimentée par le parti radical-socialiste et par ses meilleurs orateurs, fit grand bruit. Elle lui attira de la part des classes possédantes des haines formidables. La grande presse bourgeoise faisait chorus. Le Parlement vota la réforme en geignant, mais il resta des rancoeurs. Elles provoquèrent un jour le geste malheureux d'une femme exaspérée par les attaques furibondes qui pleuvaient sur son mari. On sait le reste. M. Caillaux abandonna la vie politique jusqu'au jour -la haine est tenace- où il se trouva un Gouvernement pour le traduire devant la Haute-Cour. Ce fut un débat politique au premier-chef, dont beaucoup sont revenus, et l'opinion publique, mieux éclairée, est en train d'estimer qu'on avait exagéré. Résigné, mais confiant, M. Joseph Caillaux ne se laissa pas abattre. Il continua dans sa retraite à se tenir en contact avec la démocratie et, se livrant, de temps en temps, à des manifestations oratoires, il a eu l'occasion d'exposer, tant au point de vue extérieur qu'au point de vue économique, des idées qui peuvent être discutées, mais dont la justice et la générosité n'échappent pas aux esprits avisés. Il est probable que prochainement le département de la Sarthe le renverra au Parlement et qu'il y trouvera un jour une majorité aussi fidèle que celle de M. Clémenceau.