SCÈNE III
Jacqueline - Robert de NÉRAC - Colette - Henri
Jacqueline Mais, qu’est-ce que vous faites avec ce jeune homme
Colette Rien! Il demandait l'heure à Henri,..
Jacqueline Eh! bien.
Colette Et il m'a demandé au feu à moi...
Jacqueline Et puis?
Henri (à Nérac) Ça, c'est Michel Servet.
de Nérac Curieux, fort curieux, excessivement curieux. Il a tout de François-Joseph aux enfers!
Colette Partons... Partons... Il est dard... J’ai faim... (Elle essaie vainement d’emmener sa sœur).
Jacqueline Voyons, je ne veux pas que nous partions comme cela. D’ailleurs, Henri...
Colette Il viendra bien. Je te dis que je veux partir. Tout de suite. Allons, viens donc!
Jacqueline Mais tu deviens folle. Je vais me fâcher, Colette... (Elle la laisse et passe devant la scène).
Colette (Les bras au ciel) Qu’est-ce que je vais prendre!
de Nérac (Stupéfait) Mademoiselle! Que je suis heureux! C’est vous, c’est bien vous... j'ai tenu à vous remercier tout de suite.
Henri (écrivant) Il a été trouvé une jeune fille...
Jacqueline De quoi, Monsieur ?
de Nérac Mais, Mademoiselle, de vos paquets si lourds, de vos lettres si bonnes, de votre portrait si charmant.
Jacqueline Excusez—moi Je ne comprends pas.
de Nérac N‘êtes-vous pas marraine ?
Jacqueline N’ayant pas de filleul, comment se pourrait-il?
de Nérac Deviendrais-je fou... Voyons... Vous êtes bien Mademoiselle Belleroy?
Jacqueline Évidemment.
de Nérac Mademoiselle Jacqueline Belleroy ?
Jacqueline Évidemment. '
de Nérac (Tirant la miniature de son portefeuille). Ceci est bien votre portrait...
Colette Gaffeur va!
Henri Malin, va!
Jacqueline Oui... Oui... parfaitement.
de Nérac Ces lettres sont bien vos lettres... (Il tend les lettres à jacqueline).
Colette Tout est perdu!
Henri Sauf votre savon!
Jacqueline (Après un temps). Ah! Monsieur, je comprends maintenant. Tout s‘éclaire. Colette!...
Colette (courageuse) Jacqueline!
Jacqueline Qui a écrit ça... Qui a envoyé ça...
de Nérac (Qui commence à comprendre) Pan! Ça y est! je le suis!
Henri Quoi?
de Nérac Trompé, imbécile!
Henri Pauvre ami, déjà!
Colette (rageuse tapant du pied) Eh! bien, oui, c'est moi, moi, moi! Et puis en voilà assez de cette comédie. Vous en faites un chahut, Monsieur mon filleul!
de Nérac 0h!
Colette Après tout, j’en vaux bien une autre de marraine, et cette autre là (elle désigne la miniature) elle n’est jamais que ma sœur!
Jacqueline C’est un peu fort.
Henri Renversant, renversant...
Colette (à Nérac) Alors, vous ne m‘aimez plus, comme ça!
de Nérac 0h! Une si petite jeune fille.
Colette Évidemment, si petite... Je le sais que je suis petite. Pas la peine d’être venu de si loin pour me le dire. Mais, vraiment, je
n'aurais pas cru ça de vous, Non, Non... moi qui avais été si gentille... Ce n’est pas chic... pas chic... Oh! qu’il est... méchant... (Elle a prononcé toute
cette tirade de cette voix spéciale qu’ont les enfants qui vont pleurer, et aux derniers mots elle tombe en larmes dans les bras de Jacqueline).
de Nérac (Après un temps) Ne pleurez pas, ma petite marraine. Je vous aime bien tout de même.
Colette (Encore pleurant, et brusque) C’est vrai, au moins?
de Nérac Seulement, ça n’est plus tout à fait la même chose. Voilà.
Jacqueline (redressant Colette) Allons, Colette, sois sage.
de Nérac Dans ma tranchée, vous comprenez, la vie n’est pas toujours drôle. Alors, des fois, quand je me sentais las de souffrir,
d’avoir froid, d’avoir faim, je prenais dans ma main la petite miniature que vous m’aviez envoyée et de voir cette jeune fille si belle au milieu de nous tous si
sales,si douce au milieu de nos cruautés...
Jacqueline (suppliante) Monsieur!
de Nérac Pardon... Mademoiselle.Mais c’est si bon de rêver un peu tout haut, quand on a rêvé tout bas pendant si longtemps!
Je pars tout de suite, mais très triste, très triste... (À Colette) Adieu, ma petite marraine, je vous écrirai souvent...
Colette Je vous aimerai toujours, mon grand filleul!
de Nérac (Part et se retourne au moment de disparaître. Les regards de Colette vont de lui à Jacqueline qui a l'air émue.
Tout à coup Colette se précipite en appelant:) Monsieur de Nérac! Vous n’allez pas partir ainsi, Vous êtes encore rigolo, vous! Je n‘abandonne pas mes amis à
l’heure du danger. Je veux que vous veniez déjeuner chez maman. N'est-ce pas, Jacqueline?
Jacqueline M. de Nérac! Mais, Monsieur, seriez-vous Robert de Nérac, avec qui j’ai chassé il y a quatre ou cinq ans chez mes cousins Bréville.
de Nérac J’étais en effet, chez les Bréville, Attendez... mais oui... je me souviens maintenant... Vous aviez une jupe blanche, une veste bleue,
un chapeau marquis. Vous tiriez admirablement!
Colette Que le monde est petit!
Jacqueline Et vous ratiez toujours...
de Nérac Je ne rate jamais au Lebel, Mademoiselle.
Henri Ça vaut mieux!
Jacqueline (Continuant) Vous m'avez remarquée, j'étais bien jeune pourtant! Vous étiez, n‘est-ce pas, le meilleur ami de notre pauvre Christian, qui a été tué.
de Nérac À deux kilomètres, de moi, en Argonne, oui! Sans que j'ai pu aller l’embrasser. L’ai-je assez pleuré celui-là!
Jacqueline Venez à la maison. Vous nous parlerez de lui, de vous...
Colette Et vous ne parlerez pas de moi, dites ?
de Nérac Si; pour dire que vous êtes un ange.
Colette (Entrainanl Nérac, à son oreille et désignant Jacqueline) Et pour lui dire, à elle, ce que vous m’avez écrit à moi...
Jacqueline Prends tes affaires, Colette, nous allons rentrer tout de suite. Riquet, viendra goûter avec nous.
de Nérac (à part) Si au front on avait des émotions pareilles, on n’y résisterait pas!
Colette Passez devant; je vous suis... Vous, Riquet, surveillez-les... (Ils sortent) Pauvres enfants! Le monde est si méchant!
Henri Tu parles! On y va... (À part) Ce qu’on va pouvoir potiner demain, nous les amis! (Il sort)
Colette (Mélancolique, en les regardant déjà loin). Un bienfait n‘est jamais perdu (Elle revient, s’assied, prend sa poupée...) Comme
ils vont être heureux tous les deux! (... la regarde... et l'embrasse longuement tandis que le rideau tombe)
Rideau
Scène 3