M. LÉON DAUDET

	NOS lecteurs ne seront pas trop Surpris de voir figurer ici le portrait de Léon Daudet.
MM. Mandel et Tardieu profiteront d'un tour de faveur... d'anticipation, on nous excusera d'en
faire bénéficier aussi M. Daudet.
	Faire un portrait du directeur de l'Action-Française, est chose difficile car Daudet est
assez insaisissable et, comme son mortel ennemi, M. Briand, assez protéiforme, et il attribue
souvent à ses adversaires ses qualités propres.
	Il y a un peu plus de vingt ans, jeune écrivain, déjà talentueux autant que violent,
il eut une rencontre au Parc des Princes avec Gérault-Richard. Le poignet d'acier de Gérault le
tint en respect, mais ce qu'il fallait admirer surtout, c'est sa façon élégante et discrète de
rompre pour éviter les coups et ressaisir assez vite le terrain perdu...
	Journalistiquement et politiquement, M. Léon Daudet a adopté le principe de son adversaire;
il attaque et s'il rompt, nul ne s'en aperçoit.
	C'est le meilleur de nos polémistes et les ennemis du régime font de sa prose leur déjeuner
quotidien. Il vous déshabille les républicains avec un flegme et un "culot" qui plaisent à sa
clientèle. Son journal marche, et quand il a l'air de flancher, vite il prend son luth: " Encore
un million. Veux-tu bien?" Et ça tombe dans l'escarcelle tendue.
	On se demande souvent avec une certaine anxiété où M. Léon Daudet a pu puiser cette haine
de la République et son amour intense du trône et de l'autel.
	On affirme dans certains milieux renseignés que M. Léon Daudet est un esprit... fort
indépendant et qu'il ne faut pas prendre à la lettre ses... exagérations.
	Un roi? Un Dieu? M. Léon Daudet aurait sur ces deux sujets des opinions intimes qu'il ne
traduit pas dans ses articles mais qui ne semblent pas être précisément les inspiratrices de ses
déclarations quotidiennes d'amour à ses deux entités.
	Le passage de M. Léon~Daudet à la Chambre des Députés a laissé le souvenir d'un tribun,
oui, mais d'un tribun à la respiration courte et M. Briand lui-même n'a jamais cané devant ses
violentes attaques.
	Cet homme, si violent dans ses paroles et dans ces écrits, est dans les couloirs un
charmant causeur, qui rallie et vite autour de lui de fortes sympathies.
	Pour ce qui est de l'écrivain, il est au-dessus de toute éloge et sa forme littéraire 
remarquable lui vaut des admirations dans tous les partis.
	M. Léon Daudet, doué d'une fécondité extraordinaire, écrit presque mensuellement des
livres qu'on lit avec intérêt et qui sont passionnants.
	On lui reproche quelquefois des tableaux trop vivants; un de ses derniers ouvrages a
fortement ému l'archevêque de Paris; cela d'ailleurs, s'est terminé par un nouvel acte de foi
du délinquant.
	N'a-t-on pas reproché à Maurice Barrès Le Jardin de Bérénice?
	M. Léon Daudet est de l'Académie Goncourt. Il sera bientôt de l'Académie française, et,
si nous avions un voeu sincère à émettre au sujet de cet écrivain très français, c'est qu'il
s'abandonne intégralement à son Démon littéraire -même à son Démon de midi, mais qu'il impose
silenoe au Démon politique qui le travaille et frelate, chez cette nature exceptionnelle,
le meilleur de lui-même.