Procès Vaubulon
Déposition de Étiennette LELIÈVRE
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2e déposition.
ETIENNETTE LELIÈVRE, femme du précédent témoin et vivant avec
lui dans ladite Ile de Bourbon en MASCARIN, où elle est restée environ
sept années, âgée de quarante cinq ans, demeurant présentement
au Port Louis
De dépose connaître les parties ? et que environ dix mois
après que M de VAUBOULON fut arrivé à ladite Ile de Bourbon, il fut
un jour dans le magasin où était le nommé FIRLIN qui en était
le garde, et ayant voulu changer des marchandises qui
étaient d'un côté à l'autre, ledit FIRLIN s'opposa, relevant
le nez deux ou trois fois audit Gouverneur avec son chapeau,
lui disant que ce n'était point là ses affaires, ce qui fit que
ledit Sieur Gouverneur lui donna deux ou trois coups de canne.
Ledit FIRLIN se trouvant choqué de cela partit à l'instant
et s'en alla à Ste Suzanne, distant de quatre lieues de la maison
du Roi pour y trouver le Père HYACINTHE capucin, et se jeta
à ses pieds, lui disant d'avoir pitié de lui, que le Gouverneur
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l'avait maltraité et menacé de le mettre au cachot; et ne sait
ce qu'ils délibérèrent dans ce temps-là, mais qu'ils furent
environ un mois et demi à comploter l'emprisonnement du Gouverneur.
FIRLIN allait fort souvent trouver le Capucin, le Capucin
envoyant pareillement souvent le nommé Robert du HALLE à FIRLIN.
lui porter des lettres, et que, la conspiration ayant été faite,
s'en revenant un jour des Bitors à St Denis, elle rencontra
le Père Capucin et Robert du HALLE ensemble, et ledit
Robert du HALLE quitta ledit Capucin pour venir lui
parler, et lui dit en ces termes: "Madame HERVY, vous avez plus
d'esprit que les Créoles, vous vous pouvez douter de quelque
chose, c'est que l'on mettra dimanche le Gouverneur dans le cachot,
mais si vous dites quelque chose, votre vie est au bout
de mon fusil". Ce qui fit que la déposante s'en retourna sur ses
pas, ayant peur de ce que ledit Robert du HALLE lui avait dit,
et elle resta jusqu'au dimanche, qu'elle s'en alla à la messe
où étant, elle vit Monsieur le gouverneur entrer et se mettre
à sa place; où étant, le nommé LA ROCHE lui ôta son épée,
lui disant de par le Roi de rendre les armes, ce que ledit
Sieur Gouverneur n'ayant voulu faire, les nommés DU ROCHER,
Robert du HALLE et Marc VIDOT se jetèrent sur lui, et ledit
DU ROCHER ayant jeté une corde pour l'attacher, ledit Sieur
Gouverneur voulant faire résistance, le nommé Marc VIDOT
lui dit qu'il lui couperait le col avec un coutelas qu'il avait
à la main s'il ne se rendait, et que dans ce temps-là, ledit
Sieur de VAUBOULON cria au Père Capucin qui était
à l'autel, lui disant: "Mon Père ! Mon Père ! sauvez-moi
la vie". A quoi le Père Capucin lui répliqua qu'il se
rendît et qu'il n'aurait point de mal, et en même temps,
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ôta sa chasuble, le conduisit au cachot avec la populace qui était
arrivée; ce que de ce temps-là, ledit FIRLIN fut chercher des fers
pour les mettre aux pieds dudit Gouverneur, et que l'ayant mis
en prison et aux fers, le Père Capucin et la populace s'en
retournèrent à l'église où il célébra la messe, fit chanter
le Te Deum, arborer le pavillon, enfin tirer neuf coups de
canon, et crier "Vive le Roi!", se réjouissant de ce qu'ils venaient
de faire. Et ensuite, furent dans la maison du Roi où la déposante
était. Et ledit FIRLIN la voyant triste à table, lui demanda ce qu'elle
avait. Et lui ayant répondu qu'elle n'avait rien, il lui dit qu'elle n'avait
que faire de sa tristesse, que leur ennemi était mort et
qu'il ne leur ferait plus de peine. Elle lui répondit que
Monsieur le Gouverneur n'était point son ennemi; là dessus ils se mirent
à rire
et qu'ensuite ils s'adonneraient tous à la débauche, et que
deux mois après, le Père Capucin fit ledit FIRLIN commandant de
l'Ile, et il l'a resté près de deux ou trois ans, où il s'est très mal gouverné,
ayant fait enrager tout le monde. Ce qui fit qu'il fut dépossédé et envoyé
à Surate dans le vaisseau 'Les Jeux" qui passa à ladite Ile, que pendant
que le Gouverneur a été à la prison, ledit FIRLIN, Nicolas LE ROY,
chirurgien, et Jean BIDON, lui faisaient mille infamies, lui jetant
même par la fenêtre du cachot ce qu'ils faisaient dans leurs pots
de chambre presque tous les jours; et qu'enfin ils l'ont fait mourir
après vingt deux mois de prison; et qu'elle croit qu'il a été empoisonné
par ledit LE ROY, ayant entendu dire que ledit FIRLIN lui avait fait faire.
Ce qui fit croire qu'il a été empoisonné, c'est que le Sieur TALHOUËT
habitant de ladite Ile l'ayant voulu faire ouvrir, ledit FIRLIN et LE ROY s'y
opposèrent et ne le voulurent pas; et que deux ou trois mois avant
que le Gouverneur fût mort, ledit FIRLIN, qui était commandant
dans ladite Ile, fit arrêter le nommé LA CITERNE, valet de chambre
dudit Gouverneur, le fit mettre au cachot les fers aux pieds et
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aux mains, et lui fit casser la tête par les habitants de Ste Suzanne parce que
un Portugais lui ayant dit qu'il voulait délivrer son maître des fers
et qu'après, ledit gouverneur ferait casser la tête au Père Capucin
et au Frère, et à trois ou quatre autres habitants qui l'avaient arrêté.
Dit de plus que le 17 juin 1693 après la mort du Gouverneur, allant
à St Denis dans la Maison du Roi pour y dîner, montant dans
l'escalier, elle entendit dire par Nicolas LE ROY, chirurgien, à
FIRLIN et à BIDON: "il faut donner un bouillon à cette bougresse
comme à l'autre", ce qu'ayant ouï, elle ouvrit la porte où ils étaient
tous trois, ce qui les étonna de la voir, et se mirent à rire .
Ce qui fit qu'elle demanda à l'instant son congé à FIRLIN pour ne plus
manger à la table, crainte que l'on l'empoisonnât. Dit de plus que
lorsque le vaisseau 'Les Jeux' fut parti, elle entendit dire à BIDON que
s'il ne s'était pas marié à la fille de Roger, il en ferait pendre
quelques-uns. Touchant la mort du Gouverneur, c'e est sa déposition
qu'elle a déclarée et affirmée véritable, et a signé, aussi signé
Tienette LELIÈVRE DE MERVILLE LOLIMIER
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