Procès Vaubulon
Requête et défense du père Hyacinthe
2.546
A Monseigneur de BECHAMEIL
Chevalier Seigneur Marquis de NOINTEL, Conseiller
du Roi en tous Ses conseils, Me ordinaire des
Requêtes de Son Hôtel, Commissaire départi par
Sa Majesté pour l'exécution de Ses ordres en
Bretagne,
Supplie humblement le Révérend Père Hyacinthe de
Quimper, Religieux capucin missionnaire, défendeur
et accusé, contre Monsieur le Procureur du Roi.
Disant qu'il a expliqué les faits de son accusation
et ses moyens de justification par un écrit à la
présente attaché, dont il supplie Votre Justice de
faire la lecture.
Elle verra qu'il y a nécessité de l'informer de
quelques faits qui servent à la décision, entre autres
de savoir que FIRELIN a épousé une fille d' Anthoine
ROYER et que BIDON a épousé l'autre fille dudit
ROYER, si bien qu'ils sont tous deux beaux-frères.
Il est encore nécessaire d'informer la Justice que
Jacques BARRIÈRE a épousé une soeur de la femme
de ROYER, si bien que lesdits BARRIÈRE et femme
sont oncle et tante de FIRELIN et de BIDON,
et les enfants dudit BARRIÈRE cousins germains
2.547
desdits FIRELIN et BIDON et de leurs femmes.
Outre cela, le nommé LA ROCHE est compère de
ROYER, et Robert DU HAL compère de Jacques BARRIÈRE,
d'où résulte que la conspiration contre le Gouverneur
est donc faite dans la famille de ROYER par la
promesse que donna FIRELIN d'épouser sa fille, et il la
donnait d'autant plus nécessairement qu'il prévoyait
que sans le secours dudit ROYER et de sa famille
très puissante dans l'Ile, il courait risque
de sa vie conformément aux menaces du Gouverneur
de le faire pendre.
Ledit ROYER est chirurgien, et Nicolas LE ROY,
aussi chirurgien, dont la femme est cousine
germaine des enfants dudit ROYER, parce qu'elle
est fille de Jacques BARRIÈRE, si bien que voilà une
famille unie pour opprimer le suppliant de la
même manière qu'ils se sont tous unis pour
conspirer l'emprisonnement du Gouverneur, et depuis
cela, l'emprisonnement de sa personne, voilà des
faits sur lesquels il plaira à votre Justice, Monseigneur,
d'ordonner que lesdits particuliers seront interrogés.
Aussi de ce qu'ils s'assemblent tous dans la prison
avec un même conseil qu'ils appellent du dehors et
pour concerter entre eux les moyens de perdre ledit suppliant,
en le voulant rendre auteur de toutes les factions,
quoiqu'il n'y ait jamais participé. Mais leurs
complots tendent à le vouloir persuader, si bien que
le suppliant a intérêt que votre Justice en soit
informée, et pour cet effet, qu'il vous plaise, Monseigneur,
commettre l'un de Messieurs ou Mr le Commissaire et rapporteur
2.548
pour descendre et enquérir pour cela en prison les témoins
qui pourront en déposer.
Outre cela on a produit de la part de ses parties
avec ses plusieurs pièces civiles, lettres et autres pièces
dont la communication ne peut pas être refusée
audit suppliant, pour y répondre par avis de conseil
comme aux requêtes, inductions et autres écritures
que FIRLIN et ses ? ont mises devant nous
afin de relever les impressions et les inductions
qu'on veut en tirer, et qui ne peuvent avoir lieu
à moins que ledit suppliant qui n'est point versé
dans les affaires n'en communique à son Conseil
ce qu'il espère que votre Justice ne lui refusera pas.
Enfin, le suppliant porte un témoignage de la
rectitude de sa vie, qui est une attestation du Sieur
de MONTS, capitaine du vaisseau dans lequel
ledit suppliant est venu en France librement et
sans être retenu ni en garde, et encore une autre du Sieur de
MONTELAIR, capitaine en second du même vaisseau .
Tout cela porte le
suppliant à vous requérir.
Qu'il vous plaise, Monseigneur, voir à la
présente attaché l'écrit du suppliant et
l'attestation des Sieurs de MONTS et de MONTELAIR et outre commettre
Monsieur le Rapporteur ou tel autre qu'il vous
plaira pour descendre à la prison interroger lesdit
accusés y retenus sur les faits de la présente
requête et pour informer du contenu, ensuite
adjuger au Procureur soussigné communication
des pièces civiles contre lui nouvellement
produites pour y pouvoir répondre
2.549
pour avis de conseil dans trois jours
et ferez justice
GAZON
2.0550
Monseigneur de NOINTEL
de BECHAMEIL, Chevalier Marquis et
Conseiller du Roi en Ses Conseils, Maître
des Requêtes ordinaires de Son Hôtel, Commissaire
départi par Sa Majesté pour l'exécution de ses
ordres en Bretagne,
Supplie très humblement Frère Hyacinthe de
Quimper, Religieux Capucin et Missionnaire,
défendeur et accusé contre Mr le Procureur
du Roi.
Disant qu'il a été surpris de voir par les
interrogatoires qui lui ont été faits, que Michel
FIRELIN s'était réservé un magasin des lettres, de
procès-verbaux et d'attestations pour se préparer
la justification de ses crimes.
C'est où l'on peut dire avec vérité que crimia
praecautio dolus, il n'en faut pas davantage pour
demeurer convaincu que ledit FIRELIN se sentant
coupable par tout ce qu'il faisait dans l'Ile,
il s'est préparé comme il a pu des moyens de
justification; ce que le suppliant ne faisait
point parce qu'il était soutenu par son innocence.
Cet homme rempli de ruses et de
2.551
mensonges, comme l'on peut voir par ses réponses
et par son écriture, pouvait facilement tromper la
simplicité d'un Religieux, lequel n'ayant pas
l'expérience dans les affaires du siècle ni dans
la malice du peuple, se laissait persuader à ce qu'on
lui inspirait pour le bien apparent de la paix, mais je
vois à présent que le venin était caché sous cer
fausses apparences, ainsi il espère que la Justice,
développant le vrai dans le faux, la matière dans ?
simplicité rendra la Justice qui est dûe audit suppliant.
Il est certain que tous les procès-verbaux
sont de la main et de l'ouvrage de FIRELIN, qui disait
que tout cela était nécessaire pour envoyer ver?
France et pour assurer leur conduite, il ne peut
y avoir qu'un homme comme FIRELIN, capable de
faire toutes ces écritures et de prendre toutes
ces précautions, car encore une fois, un capucin
qui a passé toute sa vie dans un cloître et
dans les Missions étrangères, ne sait ni?
rien dans les affaires de Justice, ainsi tous les
procès-verbaux qu'on a représentés étant du fait
de la main de FIRELIN, ? que des témoins
pour assurer sa condamnation, et la Justice
trouve qu'il sait qu'il ?
Il ne faut point dire que le Sieur de
2.552
de VAUBOULON a écrit aux Srs Directeurs de la
Compagnie des Indes pour se plaindre du P. Hyacinthe,
car tout cela n'est qu'une invention de FIRELIN,
lequel sait parler de la sorte, un homme qui n'a
peut-être jamais songé à écrire ainsi, mais quand
cela pourrait être, il n'en résulte autre chose si-
non que le Gouverneur avait du chagrin dans le coeur,
mais il ne s'ensuit pas que le Père Capucin en
eût aussi. Il n'avait pas le regret de ses lettres
il ne pouvait donc pas en garder du ressentiment,
et il ne lui était pas permis d'en ? selon
Dieu et sa Religion; il est donc vrai que ces
lettres ne peuvent tirer aucune conséquence contre
le suppliant, mais enfin, on n'y voit ni l'écrit ni la
main du Sr de VAUBOULON, ce n'est donc point
une preuve authentique, et on ne peut induire autre
chose là, sinon que c'est un coup de rage
d'un homme qui mit tout en oeuvre pour préparer
sa justification sur les ruines d'un pauvre Religieux
que ledit FIRELIN prétend accabler par des
détours malicieux, quoique cela ne puisse
lui préparer sa justification.
Au surplus, comment dire que ce fut le
Père Capucin qui tout résolut de faire arrêter
le Gouverneur, cela répugne au bon sens, car le
Père n'avait point à juger pour le faire.
2.553
Il n'y avait que FIRELIN, de peur d'être pendu, et
ce qui est à remarquer, c'est que le dessein de
l'arrêter ne fut formé que depuis les coups de
canne reçus par FIRELIN, depuis qu'il alla
à Ste-Suzanne conspirer avec ROYER, depuis
qu'il eut promis d'épouser sa fille, pour se ?
toute l'Ile à lui, et enfin depuis l'interrogation
juridique par laquelle le Gouverneur intimida si fort
FIRELIN qu'il se crut à la veille d'être pendu s'il
tardait de faire l'emprisonnement; on laisse à
penser si le Père Capucin d'approchant pour se
porter à une action de cette sorte, il ne se trouvait
point que ce soit lui qui ait assemblé les habitants
ni attroupé les ouvriers, ni ordonné la capture,
cela se fit chez ROYER, beau-père, et chez BARRIÈRE,
prétendu oncle de FIRELIN. Il faisait honneur à
la famille en promettant d'épouser la fille
de ROYER, c'est pourquoi toute la famille se
joignit audit FIRELIN, lequel n'avait garde de
manquer à a parole dans une Ile où il n'y
avait pas de porte de sortie ni de navire
prêt à faire voile, outre que le poste de
garde-magasin était trop glorieux audit FIRELIN
pour le quitter, et ne pouvant trouver dans cette Ile
d'autre parti plus avantageux que la fille de
ROYER; voilà ce qui assura la vie audit FIRELIN
en arrêtant le Gouverneur; il est à remarquer
2.554
au dire de FIRELIN que le gouverneur fut arrêté
par les habitants et par les ouvriers, qui peut
avoir eu pouvoir sur les ouvrier si ce n'est FIRELIN,
tout cela confirme tout ce qui a été ci-devant
dit.
Il ne faut pas dire que ledit FIRELIN ne
fut point à Ste-Suzanne, car on a fait voir qu'il
y fut pour se plaindre au Père et demander qu'il
eût procuré la paix. Il faut nécessairement que
ce fût en ce temps-là qu'il médita avec ROYER
et sa famille sa conspiration.
Il l'avoue lui-même, et il dit qu'il ne sollicita
point les habitants de Ste-Suzanne à faire empri-
sonner le Gouverneur, il n'en faut pas davantage
pour justifier le suppliant, car si FIRELIN ne fit
aucune conspiration à Ste-Suzanne, il ne s'en
fit donc point de la part du Père, car on ne dit
pas qu'il en ait fait aucune audit lieu, il vint au
FIRELIN à St-Denis où il n'en fit point, il alla
ensuite à St-Paul où il est certain qu'il n'en a
point fait non plus, puisque nul habitant dudit
lieu n'a entré dans la prise du Gouverneur, que
le Père vint seul de St-Paul à St-Denis, et
qu'on ne dit pas où il ait fait la conspiration
ni avec qui. Il est donc vrai que c'est une
imposture vague et non spécifiée que de
2.555
supposer une conspiration de la part d'un Religieux
sans dire en quel lieu ou en quel temps, comment, et
avec qui cela a dû se faire, même sans cause.
Il se voit donc que le fait n'a pas même d'apparence,
et que c'est par une ruse et une adresse que
ledit FIRELIN a su faire signer des procès-verbaux
à un Religieux trop simple et trop facile pour préparer
sa décharge.
Ce mensonge dudit FIRELIN paraît encore en ce
qu'il suppose que le Gouverneur mourut d'une mort
naturelle et non par poison, car FIRELIN
est trop habile homme pour avoir manqué à faire
ouvrir le corps comme il devait, sans que la
famille et lui-même se trouvent intéressés à n'en
rien faire, si bien que le seul défaut d'ouverture
est un crime qui fait sa conviction.
On peut croire que la promotion de FIRELIN
au gouvernement après l'emprisonnement du Gouverneur
et dans l'état où étaient les choses n'était pas
une action contraire à l'autorité du Roi,
que la nécessité à tenir les peuples en sujétion,
et on le devait par ce moyen-là, tout ce qui
fait le mal est d'avoir arrêté le Gouverneur,
et sans doute le Père n'y a participé que par
contrainte et par un esprit de prudence
2.556
de conserver la personne du Gouverneur, lequel,
quoi qu'on puisse dire eût péri dans l'attaque
si elle eût été faite en toutes autres manières
que celle que le Père crut avoir prudemment
imaginée.
Au surplus, il a pu le trouver en la prison
et s'il ne l'a pas fait aussi souvent qu'il l'eût bien
souhaité, c'est par deux considérations également
véritables: C'est que ledit Sieur de VAUBOULON pouvait
croire en apparence que le suppliant participait
à son emprisonnement, quoique dans la vérité et
dans son coeur il n'y avait point de part, et l'autre
est qu'il avait des mesures à tenir avec FIRELIN
et avec toute sa famille, qui ne laissait pas
de se méfier dudit suppliant dans la crainte
où ils étaient qu'il ne procurât la liberté du Gouverneur,
d'où leur perte, était certain sans contredit , mais
toujours il est évident par là que le suppliant
n'avait point de haine dans le coeur, comme
comme en effet il n'en a jamais eu.
Il est encore à observer que les mémoires que
FIRELIN fit signer audit Père ne furent rédigés
que longtemps après emprisonnement dudit Gouverneur
par les amis dudit FIRELIN, qui dit que c'était
une formalité essentielle et nécessaire en France
pour s'en réclamer, car eux et les autres, à moins
2.557
de faire voir les justes raisons qu'on avait
vues d'emprisonner ledit Gouverneur.
Et il ne faut point pour cela imposer une
fal et un antidate audit suppliant, car on
peut dater des procès-verbaux du jour que a
chose s'est passée, quoique les procès-verbaux
ne soient rédigés que de quelque temps après, comme
l'on voit tous les jours, qu'on date les sentences
et les arrêts qu'on les a rendus, quoi-
que rédigés longtemps après. Outre cela il faut
que dans le faux tria concurrant sin quibur
non est salvum, savoir l'altération matérielle,
le préjudice et la mauvaise intention, et en ceci
il n'y a rien de semblable.
Pour ce qui est de LA CITERNE, il se voit à pr(ésent)
que le suppliant n'a point assisté ni sollicité sa
condamnation ; le langage que tient sur cela
FIRELIN, par sa requête, fait aussi connaître que
c'est lui qui l'a fait condamner, comme il en
donne les motifs et les exemples.
Il se trouve saisi à la ? ou minute de la
sent(ence) de mort, pour prouver qu'il était l'auteur de
tout, et maître de tout ce qui s'est passé, et fait,
sur cela on ne peut assurer s'il fut des Juges
ou non, parce que le Père ne songea jamais à
cette condamnation, dont il n'osait parler d'une
2.558
manière ni d'autre, car il était de son devoir
de ne pas solliciter la mort, à moins de tomber dans
l'irrégularité, et il n'osait aussi la détourner ni
s'opposer à FIRELIN, car il se fût rendu par là non
seulement suspect, en paraissant embrasser les intérêts
du Gouverneur et de son domestique, mais il eût
attiré sur lui toute la caballe de ROYER et sa
famille. Il ne faut donc pas faire un crime audit
suppliant, s'il ne s'est pas fortement opposé à l'exécution
que FIRELIN croyait avoir intérêt de sa vie et pour
sa sécurité.
Et quand on dit que le Père avait également
intérêt parce qu'on voulait aussi l'égorger, c'est
une crainte dans laquelle il n'est jamais tombé;
au surplus, tout ce qu'on dit sur les circonstances
de ce jugement, est que le suppliant a fait rentrer
les Juges, qu'il a présenté un livre et qu'il a fait
signer le jugement; ce sont autant d'impostures
de BIDON et de quelques autres de sa faction, car
dans le vrai il n'y a rien vu de tout cela, et tout
les témoignages des accusés et des complices
sont rejetables.
Il se peut que le suppliant ait écrit
plusieurs lettres, mais ça été par politique
et par un déguisement, n'osant pas comme lorsqu'il
marqua de désavouer le parti ni le procédé de FIRELIN
2.559
Il n'y a pas lieu de s'arrêter à la lettre où
le suppliant marquait qu'il eût chagrin de ce que
LA CITERNE n'avait pas été appliqué à la question,
car cela s'écrivait après la mort dudit LA CITERNE
dans un temps où l'on pouvait tout marquer et tout
dire, pour flatter en apparence le parti de FIRELIN.
Il n'y faut pour cela que réfléchir sur ce que
ledit suppliant assisté ledit condamné à la mort,
s'il avait eu autant de pouvoir sur l'esprit des Juges
qu'on veut le persuader, il eût pu facilement f(aire)
ordonner la question, aux cela seul fait connaître
en quel esprit ces lettres ont été écrites, et
que ce n'était point les véritables et naturels
sentiments du coeur.
On doit avoir couché dans les mémoires
qu'on impute au Sr de VAUBOULON et qui ne sont
pourtant que du fait et de la main de FIRELIN,
qu'il se plaignait du Père Bernardin, mais on
? sur cela au témoignage du Roi
et de la Cour qui renvoyait ledit Père Bernardin
dans l'Ile, d'où s'ensuit que sa façon d'agir
et de vivre avec le peuple de ce pays-là
n'était pas désagréable à Sa Majesté
ni même à la Compagnie des Indes qui était
parfaitement informée de la conduite. Le
2.560
Père, on produit en cet endroit un témoignage
écrit d'un des principaux directeurs de la Compagnie
dont vous êtes, (Monseigneur, très humblement)
supplié de vous faire donner la lecture. Cette
lettre est du Sieur LE GAUD, et marque l'estime, la
foi et la confiance que toute la Compagnie avait
en la personne de ce Père, et requiert ledit
suppliant à Monseigneur.
Qu'il vous plaise trouver à la pr(ésente) attachée
ladite lettre du 4e mars 1689, et adjuger au suppliant
?
GAZON
Document suivant
Ce site est hébergé par
Yannick VOYEAUD 1995-2024