Procès Vaubulon
Déposition de Jean BIDON
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5e déposition
Jean BIDON, ci-devant secrétaire du Sieur de VAUBOULON Gouverneur de l'Ile Bourbon
de présent au Port-Louis, âgé de vingt-sept ans, témoin fait jurer ?
Dépose connaître les parties ?, et que le cinq mai 1689, étant embarqué
dans le vaisseau de la Compagnie 'Les Jeux', commandé par DUBOIS des SABLONS
avec le Sieur de VAUBOULON que le Roi y envoyait pour gouverner, et qu'étant
parti de la rade de Groix ledit jour 5e mai pour faire route pour aller à ladite
Ile, il remarqua que le Sieur de VAUBOULON et le Père Hyacinthe, capucin, qui
allait aussi à ladite Ile pour aumônier, ne s'accommodèrent point ensemble
et se chagrinèrent fort souvent, et qu'étant de relâche à la Baie de tous les Saints,
ledit Sieur Gouverneur et le Père Capucin se chagrinèrent encore davantage,
jusqu'à ce que ledit Père Capucin voulût rester avec son compagnon à ladite
Côte du Brésil, se plaignant que le Gouverneur les nourrissait mal, que
cependant ils s'embarquèrent et arrivèrent à l'Ile de MASCARIN environ
le mois de décembre de la même année; où étant, le Gouverneur se fit
reconnaître et prit possession de la Maison du Roi, où il s'est établi, et le Père
Capucin s'en alla à St Paul, et ne venait que rarement à St Denis, ce qui fit
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que le Gouverneur le voulant faire rester à St Denis, le Capucin ne le voulant pas,
ils s'? fort souvent et furent mal ensemble. Ce qui fit que ledit Père
capucin complota avec les habitants pour le faire arrêter, et que, environ un an
après que le Sieur de VAUBOULON fut arrivé, et que le complot fut fait, un
dimanche, lorsque M de VAUBOULON était à l'église, le déposant étant
avec lui et deux ou trois de ses domestiques, s'étant mis à genoux à son
prie-Dieu, un habitant nommé LA ROCHE lui saisit son épée et l'arrêta
"de par le Roi", et à ce qu'il croit du Révérend Père, et en même temps les
nommés DU ROCHÉ, Robert DU HALLE et Marc VIDOT se jetèrent sur lui et
l'attachèrent, et ensuite, le Père Capucin qui était à l'autel ôta son
aube, et prit un petit bâton qu'il avait à côté de lui en sa main ? en disant
"Amarre-moi ce coquin, ce voleur et ennemi de la Couronne"
et le déposant, voyant cela, mit l'épée à la main et blessa un des
habitants. Ce qui fit que les autres se jetèrent sur lui, lui présentant
une baïonnette en lui disant: "Si tu branles je te tue"; le lièrent et
l'emmenèrent en prison aussi bien que ledit Gouverneur que ledit Père Capucin
lui-même fit mettre au cachot, aussi les fers aux pieds, et après que
le déposant y fut resté vingt-quatre heures, le Père Capucin
écrivit au nommé MUSSARD pour le recevoir chez lui à St Paul, avec
défense à lui d'en sortir et de parler au nommé Paul DÉSIRÉ, à Jacques
FONTAINE, ni à Jacques LORET sous peine d'avoir la tête cassée; dit qu'après
avoir été mis en prison aussi bien que ledit Gouverneur, le Père
capucin s'en alla à l'église, fit chanter le Te Deum, et fit tirer sept ou
neuf coups de canon, et que un an ou quinze mois après qu'il l'eut
envoyé à St Paul, il le fit revenir à St Denis, et fit défense à ceux de St
Paul de se retirer, et en fit autant au nommé LA CITERNE qui était
aussi en exil à Ste Suzanne, et demeurèrent quelque temps à St
Denis, où étant, ledit LA CITERNE fut accusé de vouloir tuer le Père et
Frère Capucin, et FIRLIN qui avait été fait Commandant en ladite Ile par
l'intrigue du Père Capucin, qui menaça les habitants afin de le faire
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reconnaître. Ce qui fut fait après l'emprisonnement du Sieur de VAUBOULON , que
ledit Père Capucin venu de St Paul à St Denis, où étant, il fit assembler
quelque temps après les habitants de ladite Ile, et, en étant neuf pour
faire le procès et juger ledit LA CITERNE, lesdits habitants ne voulaient
point le juger. Le Père Hyacinthe s'emporta contre eux, les menaçant
et leur disant qu'ils étaient des ignorants, et qu'il fallait qu'ils le jugeassent,
ce qu'ils furent obligés de faire, et le condamnèrent d'avoir la tête cassée
et passer par les armes; et aussitôt ledit LA CITERNE fut conduit au poteau
qui est devant la maison, où il fut attaché, et les habitants lui cassèrent
la tête, sans que le Père ait jamais voulu qu'il eût la grâce, et
même ne lui fit pas dire aucune prière, le fit seulement enterrer
avec ses hardes; que depuis ce temps-là, ledit Gouverneur étant toujours
resté dans le cachot, il y mourut, et que le Père Capucin en ayant été
averti ne voulut point y venir pour l'enterrer, et dit que l'on l'enterrât
si l'on voulait et qu'il n'y viendrait pas. De plus, dit qu'il a entendu dire
au Capucin: lorsque M de VAUBOULON qui était en prison le demandait
pour le confesser, que c'était pour l'attraper par ses confessions, et que
s'il était mort, il mettrait quatre mousquetaire sur la tombe pour
l'empêcher de revenir. Dit encore qu'après que ledit Gouverneur fut mort,
les habitants voulurent reprendre l'argent qu'ils lui avaient donné
dans son vivant. Ledit FIRLIN qui en était saisi ne sachant que faire
demanda au Père Capucin son avis là-dessus, et ce qu'il ferait, et
le Père lui dit qu'il fallait rendre l'argent à la populace, et que s'il
craignait quelque chose, il n'avait qu'à tout mettre sur lui, qu'il ne prendrait
rien, et que, ôtant son capuchon en arrière et le mettant devant,
il n'aurait qu'à s'en aller chez lui dans son couvent où il ne craignait
rien, et que depuis ce temps-là, il y a toujours eu dans l'Ile une
espèce de guerre civile entre les habitants, qui a été causée par
les mauvais conseils du Père Hyacinthe. C'est tout ce qu'il a dit
et déclaré véritable et a signé, aussi signé BIDON, DE MERVILLE
et LOLMIER
Collationné par nous prévôt de la marine
au Port-Louis ce 7e mars 1697
DE MERVILLE
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