Vienne la Belle

Texte d'André CHAGNY
Illustration de Joanny DREVET

           Dans son Poème du Rhône, Frédéric Mistral a dit la surprise émerveillée du voyageur, venu de « l‘empire du soleil que borde, comme un ourlet d’argent,
le Rhône éblouissant », lorsque ses yeux découvrent le panorama de la Vienne française. « Tout d’un coup, magnifique, au tournant, apparait dans son plein,
assise en autel sur les contreforts du noble Dauphiné, l’antique Vienne ou, dans la lumière limpide qui l’inonde, les clochers, les tours et les temples écrivent
l‘histoire auguste du passé ! »

          Impression de poète, sans doute, mais dont chacun de nous peut aisément vérifier la justesse. Vue de la rive droite du Rhône et, mieux encore, des coteaux de
Sainte-Colombe, Vienne s’offre aux regards, au centre d'un amphithéâtre de collines, comme un autel d’argent et d’or dans le demi-cercle d‘une abside immense;
ses plans étagés en figurent les gradins, que couronne, tabernacle aérien, le mont Pipet où, de l’aurore au crépuscule, resplendissent toutes les féeries de la lumière.

          Le site est des plus captivants. Au bord du sillon profond, patiemment creusé par le Rhône dans les durs terrains primaires, la ville n’a cessé de gagner sur
les petites plaines d‘Estressin et de l’Isle, jadis recouvertes par les alluvions fertiles du grand fleuve constructeur. Elle a surtout pour elle sa merveilleuse
position dominante et l‘étagement de ses collines, — « leur septuple étagement, préciserait un Viennois, car nous comptons sept collines, comme à Rome ». —
Ne chicanons pas sur le chiffre fatidique ! Il importe assez peu que l’orgueil local, pour compléter le nombre des sommets traditionnels, ajoute à ceux de la rive
gauche 1e Grisard qui s’élève de l’autre côté du Rhône. Aussi bien — et ceci est d’un plus grand intérêt — chacun de ces hauts lieux constitue un admirable belvédère.

          De fait, pour qui gravit les pentes d’un de ces observatoires naturels, et plus spécialement celles du Mont Salomon ou celles de Coupe-Jarret, les deux moles qui
limitent l’ancienne ville, — c‘est une surprise, où se mêlent de l’allégresse et de l’admiration, que de découvrir un des plus nobles et des plus suggestifs paysages
de la France.

          Au couchant, voici le proche amphithéâtre des terres brunes auxquelles, à peine en recul, le Pilat impose son fronton de temple colossal ; voici, dans l’entaille
de la vallée, la courbe étrangement puissante et harmonieuse du fleuve, en marge de la plaine verte où, parmi les vergers et les jardins, la grosse bourgade de
Sainte-Colombe a semé ses maisons grises ; voici, enfin, dévalant jusqu'au ruban de moire argentée que coupe la double barre d’un pont, la cascade des terrasses,
des toits et des clochers de Vienne, avec les trous d’ombre des placettes et les liserés d’or vert que dessinent les arbres des avenues.

          Tourne—t-on le dos au mont Pilat, un spectacle aussi imprévu et encore plus grandiose captive les regards. Par delà 1e vaste moutonnement des plaines et
des collines dauphinoises, les Alpes déploient, au levant, la dentelle de leurs cimes neigeuses, que tout au bout de l’horizon, le Mont Blanc domine, orgueilleux
berger au manteau de lumière.

          En dépit de sa situation relativement septentrionale, Vienne n‘est pas une « ville du Nord ». Elle occupe presque 1e fond de cet ancien golfe méditerranéen qui
poussait ses eaux jusqu’à Loire à travers les brèches des montagnes, bien avant qu’il fût question du Rhône. Ses environs ne laissent pas de rappeler la Provence par
la couleur de certaines de leurs terres et, plus encore, par la lumière dorée de leur ciel.

          Aujourd‘hui Vienne gravite dans l’orbite de sa grande voisine, Lyon. Dans le passé, au temps des Romains et même en plein moyen âge, elle fut une cité toute
méridionale. Il n’est pas sans intérêt de noter que Vienna ne ressortissait pas à la Lyonnaise, mais bien à la Narbonnaise, cette « province » dont le nom sonne
toujours dans celui de notre Provence. Pour saisir parfaitement cette vérité géographique, il savoir que « Vienne est une ville du Midi plutôt que du Nord », i1 n‘est
que de descendre le Rhône sur un des bateaux de commerce qui 1e sillonnent entre Lyon et Saint-Louis. 0n ne voit, du reste, pleinement que du fleuve la double et
magnifique suite de paysages, parfois très différents d’un bord a l’autre, qui enchantent déjà les yeux par la seule beauté de leurs lignes. Des usines, de jour en jour
plus nombreuses, obstruent souvent et enfument l’horizon, en aval de la grande agglomération lyonnaise. Oullins et Givors, sur la rive droite, Chasse sur la rive gauche,
dressent leurs hauts-fourneaux et leurs cheminées qui montent presque jusqu‘à la frise des coteaux. « Vienne la drapière » enfume encore le ciel, mais déjà plus
discrètement et en retrait, car la plupart de ses fabriques bordent un petit affluent du fleuve, la torrentielle et sinueuse Gère. Le ciel est plus pur ; il parait plus
doux. Cette arrivée à Vienne par bateau offre l’un des plus grandioses parmi les incomparables spectacles qui se déroulent au f1l du Rhône.


La Gère et Pipet Vienne vue depuis un accès au château de la Bâtie La Gère et le château de la Bâtie
Vue de la Gère avec Pipet Vienne vue depuis la Bâtie (sud) Vue de la Gère avec la Bâtie

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