L'ABBÉ BERGEY
On représente volontiers l'abbé Bergey discourant dans un tonneau, devant un Évangile et une bouteille de Bordeaux. C'est que M. le Curé de Saint-Émilion est un fidèle disciple des deux, ce qui n'est pas inconciliable. L'abbé Lemire, son très respecté collègue, a bien su allier ses sentiments religieux avec la république. On ne peut décemment reprocher à l'abbé Bergey d'aimer en même temps la Bible et le bon vin. M. le curé de Saint-Émilion a fait la guerre. Aumonier au 36e d'infanterie, il devint vite populaire parmi les poilus : il fumait la pipe comme un sapeur, goûtait le pinard, ne crachait pas sur la gnole. Ah ! il n'engendrait pas la mélancolie, le curé du soleil ! Certain vendredi, on lui offrit du poulet : Bah ! s'écria-t-il, si Jésus avait fait la retraite de Charleroi, il le baptiserait morue et le mangerait avec nous... On dit que lorsque M. Mandel alla le chercher, l'abbé Bergey le prévint: " Prenez garde, je suis un cheval de timon, je vais tirer sur la charrette et suis capable de la faire arriver la première. Gare au cheval de flèche, s'il est fragile... " Vous savez ce qu'il advint. Sa campagne électorale fut d'ailleurs très brillante. Tribun merveilleux, causeur intarissable, il clouait ses adversaires d'un mot. Quand sa voix fléchissait, il humectait ses lèvres d'un verre de vin du cru et grillait une cigarette qu'un gars du patronage lui tendait au moment opportun. Au lendemain des élections M. Mandel n'avait évidemment pas le sourire : " De quoi se plaint-il, il emporte une veste mais il leur " envoie " une soutane !... " Au physique, l'abbé Bergey... mesure 1m. 92. Face énergique, menton têtu, voix harmonieuse, il n'a pas dépassé la quarantaine. Il a gardé sa verdeur, malgré l'éclat d'obus qui lui troua la poitrine en 1915. I1 fut décoré de la Légion d'Honneur. En 1916, à Verdun, la croix d'une main et son fusil de l'autre, il ramenait un bataillon en " pagaye ". M l'abbé Bergey n'a pas encore débuté pour ainsi dire à la tribune du Parlement. Il a déjà recueilli parmi ses collègues de toutes nuances de grandes sympathies. Nous verrons bientôt s'il trouvera la manière de se faire accepter comme son collègue Lemire dans ce milieu parlementaire où il faut tant de doigté.