FRANCFORT Félix-Hubert, mathématicien sous la Monarchie de Juillet

     FRANCFORT a laissé un Essai analytique de géométrie plane (1) publié en 1831. Mais c’est également à partir de ce millésime que l’on perd sa trace.
     Il avait pris la fuite après les manifestations républicaines des 20 au 22 décembre 1830 qui avaient marqué le procès des ministres de Charles X.
     Il était le seul accusé absent du Procès des dix-neuf citoyens (2) qui se termina par leur acquittement en avril 1831.
     Plusieurs inculpés sont passés à la postérité, tels qu’Ulysse TRÉLAT, ministre en 1848, ou Godefroy CAVAIGNAC, fils du conventionnel.

     Voici la notice de Francfort parmi les dix-neuf qui précèdent le compte rendu du procès:
     Félix-Hubert FRANCFORT, âgé de 21 ans, né à Honfleur (Calvados), étudiant en mathématiques, demeurant à Paris, rue Monsieur-le-Prince, n° 39; (absent), combattant de juillet.

     Le procès fit apparaître FRANCFORT comme caissier d’une Société de la Liberté, de l’ordre et des progrès dont plusieurs inculpés étaient membres. On avait saisi chez lui une liste de trente-deux personnes.
     C’est précisément sur l’absent que quelques coinculpés firent peser les charges les plus lourdes. La police ayant saisi un règlement de la Société appelant à l’insurrection, voici ce qu’en dit l’inculpé Édouard PÉNARD:
          « … Je connais ce préambule comme étant le règlement de la société de l’Ordre et des Progrès. FRANCFORT m’avait soumis ce projet à moi personnellement, mais non à la société. Il n’a jamais eu de suite … » (3).
     Mais voici le règlement en question:
     « Considérant la gravité des circonstances où se trouvent placées la France et l’Europe; voulant obtenir toutes les conséquences de notre glorieuse révolution, nous avons résolu de tenter, par tous les moyens compatibles avec l’honneur, de ramener la France à l’état où elle se trouvait le 29 juillet, et dans le but de faire à la nation un appel qui puisse constater de la manière la plus positive la véritable volonté nationale.
          Article 1. Tout membre, dès qu’il aura été fait par le président un exposé du but de la société, devra jurer d’ensevelir dans le plus profond silence tout ce qui aura été l’objet des délibérations secrètes de la société, sous peine d’avoir à rendre compte de sa trahison à chacun de nous, jusqu’à ce qu’il ait succombé.
          Article 2. Si l’un de nous, au moment de l’exécution, demande à n’y prendre aucune part ou à se retirer, il le peut, mais sous les conditions de l’article 1.
          Article 3. Dans le cas où l’un de nous viendrait à tomber dans les mains du pouvoir judiciaire, nous nous engageons tous à lui prêter assistance.
          Article 4. Tout membre de la société est tenu d’avoir chez lui un fusil en état et 50 cartouches ; à une époque déterminée par la Société, le comité diplomatique sera chargé de faire une vérification à cet égard.
          Article 5. Le comité diplomatique entrera en relations avec les différentes sociétés poursuivant le même but, et sera muni de lettres de créance.
          Article 6. Les membres seront classés par quartiers ; les communications ne pourront être faites par écrit qu’en cas d’absence du président, et avec toutes les précautions convenables.
          Article 7. Dans les momens de crise, il sera établi un service régulier pour que l’un ou plusieurs d’entre nous soient toujours à même d’informer promptement le président de ce qui se passe, soit au Luxembourg, soit à la Chambre des députés.
          Article 8. Le président, les membres du comité diplomatique et le secrétaire auront un qui vive particulier.
          Article 9. Tout membre, sur l’invitation du président, devra se rendre sur-le-champ à l’heure et au lieu désignés.
          Article 10. Tout membre qui reçoit une mission spéciale par le président est tenu de la remplir sur-le-champ.
          Article 11. En cas de mouvement, le président, assisté du secrétaire et d’un membre du comité diplomatique, remplit les fonctions de général, et chaque membre est tenu de lui obéir.
          Article 12. La Société désignera un ou plusieurs députés dont nous devons chercher à obtenir le patronage.
          Article 13. Le règlement particulier sera lu à chaque séance.
          Article 14. Il sera choisi un membre de la société, à qui sera confié ce règlement. »
(4)

     L’accusé Jean-Théophile SAMBUC fait penser que le règlement ne fut pas appliqué strictement sur tous les points. Se défendant d’avoir joué un rôle important, il déclare avoir déposé sa carabine chez un ami. C’était d’ailleurs une précaution connue. BLANQUI n’a-t-il pas raconté que, le 27 juillet 1830, il était allé chercher son fusil chez un ami et qu’ainsi il avait sans doute été le premier civil à
porter une telle arme dans la rue.

     Au cours du procès, le procès attribua à FRANCFORT un discours rédigé saisi chez lui, discours dont les conclusions, elles aussi, ne furent pas reprises complètement par la Société.
En voici le texte:
     «Vous avez entendu le rapport qui vient de vous être fait, et vous avez senti de quelle importance étaient ces communications; une circonstance des plus opportunes se présente;
tous s’en emparent et cherchent à rétablir par la force des armes des principes qu’on avait osé méconnaître même après notre dernière révolution.
Appelé à combattre, je ne doute point qu’avant de le faire, chacun de nous n’ait mûrement réfléchi sur notre but et les moyens d’y parvenir.
Au mot de République, l’esprit se retrace les horreurs trop nécessaires de 1793.
Parmi les partis qui divisent la France, le nôtre est un des plus nombreux: admettons qu’il ait le dessus, et qu’un gouvernement provisoire et républicain soit organisé,
que l’on compare l’époque de notre première révolution, on y verra une analogie frappante et qui fait frémir, mais qui n’abattra jamais un bon citoyen.
Les circonstances sont opportunes, et il faut agir de concert; mais avant que de le faire, réfléchissons sur les moyens d’action,
et ne suivons pas en aveugles les conseils de ceux qui voudraient nous jeter en avant.
Dans l’état actuel des choses, chacun de nous joue sa tête, et va au même but.
Par quelle raison ne serait-il pas appelé à connaître l’organisation du gouvernement provisoire, ses ressources, et tant d’autres circonstances que tiennent en secret dix à douze?
Pourquoi ne serait-il pas appelé à l’élection du gouvernement?
Ne doutons pas que parmi les membres qui composent les différentes sociétés tendant à notre but commun, il y en ait d’ambitieux: il est évident que de la composition du gouvernement provisoire dépendra l’anarchie;
il importe de connaître en quelles mains il est confié: hier, à l’effet du gouvernement provisoire, la question d’organisation fut agitée par nous, etc. »
(6)

     Les craintes de FRANCFORT étaient sans doute justifiées mais, sacrifiant la sécurité à la démocratie interne, il ne fut pas suivi, comme l’expose SAMBUC dans ce passage de son journal saisi lui aussi par la police:
               « … Autre rapport très important de M. D….; gouvernement provisoire organisé, composé de six membres à 12,000 francs, et d’un président à 100,000 fr.
               Appel aux assemblées primaires;
               tous les citoyens auront droit de suffrage;
               chaque cercle de cinq cents nommera un électeur;
               cent électeurs nommeront un député à la Convention Nationale, et chaque député aura 20 fr. par jour pendant qu’il siégera.
               Les noms du président et des six membres ne seront connus que deux heures avant l’exécution; on nous donnera alors l’explication que nous désirerons »
. (7)


     On apprendrait volontiers ce qu’il advint de FRANCFORT par la suite.


1) FRANCFORT (F.-H.).- Essai analytique de géométrie plane…- Paris, Bachelier père et fils, 1831.- 4°, XV-64 p.

2) Procès des dix-neuf citoyens accusés de complot tendant à remplacer le gouvernement royal par la république
     contenant leurs défenses et celles de leurs avocats [Introd. d’A. Roche].- Paris, Prévot, 1831.- 8°, 268 p. (La couverture porte: Procès politique des dix-neuf patriotes accusés de complot…).
          Réimprimé dans Les républicains devant les tribunaux 1831-1834.- Paris, EDHIS, 1974 (Les révolutions du XIXe siècle. 11).
               Dans cette édition de 1974, il était précédé de la réimpression du texte suivant:
                    Procès de la conspiration dite républicaine, de décembre 1830, contenant des pièces inédites,
                    des Notices biographiques sur les principaux accusés; par Emile Babeuf, éditeur du procès des ministres de Charles X.- Paris, A. Hocquart, 1831, pp. I-XXII.
               Les éditions EDHIS ne réimprimaient pas la suite de cet ouvrage, le compte rendu lui-même du procès, identique au texte de chez Prévot.
     Enfin, le journal de l’accusé SAMBUC fut publié en Supplément au Courrier-Français du mardi 5 avril 1831 Numéro 95 et comme le procès des dix-neuf citoyens remplit les colonnes de la Gazette des Tribunaux des 27 janvier, 10, 16, 20 mars, 5-16 avril 1831, quelle publicité ces textes ne connurent-ils pas !

3) Pp. 30-1 du compte rendu du procès.

4) Pp. 4-5.

5) Le Moniteur Universel, n° 24, lundi 24. 11. 1831, p. [159].

6) Pp. 137-138 du compte rendu.

7) P. 1 du journal de SAMBUC dont référence en note 2 ci-dessus et aux pages 6, 24-25, 137 du compte rendu du procès.
     C’est donc par trois fois qu’il est reproduit dans le compte rendu.




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